L. A. Paul : “Se laisser pleinement transformer par le choix qu’on a fait”

Choix  1 / Choisir ses études ou un métier

« Voici une décision très importante. Parmi les jeunes, seul un petit nombre ont une idée très claire de ce qu’ils veulent faire dans la vie. La plupart, et c’est normal, ne savent pas vers quelles études ou quel métier se diriger. Comment se décider ? Deux critères opposés doivent être pris en compte : choisir la filière qui correspond le mieux à votre personnalité, à votre inclinaison, ou bien opter pour la filière la plus prometteuse en termes d’opportunités, économiques notamment. Je peux être tenté de devenir investisseur dans la finance ou développeur en intelligence artificielle, par exemple, ou je peux être attiré par une carrière de musicien ou de peintre.

Dans le premier choix, l’idée est d’adopter une stratégie “objective”, en troisième personne, qui maximalise notre utilité après avoir évalué les options et les préférences, selon la théorie standard de la décision. Dans le second choix, il s’agit de faire un choix authentique ou “romantique”, en première personne, qui permet d’exprimer sa personnalité. Un bon choix de vie se fonde soit sur la rationalité, soit sur l’authenticité. Et idéalement, il faudrait parvenir à concilier les deux. Pourtant, en réalité, cette manière d’aborder la décision est complètement erronée. Rien n’est pire, quand on réfléchit à ce que l’on veut faire de sa vie, que croire qu’il faudrait déterminer quelle est la vie future que l’on souhaite. Pourquoi ? Parce qu’en admettant que vous deveniez effectivement l’un de ces types humains – peintre ou investisseur –, vous allez, en le devenant, faire évoluer vos préférences et même votre personne. Vous allez expérimenter une vie, avec ses satisfactions et ses épreuves, ses savoir-faire et ses valeurs, que vous n’auriez pas acquis si vous n’aviez pas effectué ce choix. Et cela vous transformera.

La difficulté vient du fait que l’on est à la fois l’auteur de nos décisions et le principal sujet d’expérience des effets de nos actes. Or vous choisissez parmi des types de vie sans savoir ce que cela fait de les incarner. Vous optez entre des préférences et des valeurs que vous cherchez à maximiser, mais vous ne pouvez apprécier la valeur réelle de ces valeurs qu’en les réalisant et en étant changé par elles… Comment sortir de l’impasse ? En acceptant que vous ne puissiez pas savoir ce que votre choix va faire de vous… mais en refusant que cette ignorance vous paralyse. Nous sommes terrorisés par l’ignorance, nous voulons avoir la révélation avant de vivre les choses. Nous sommes en quête de vocation. Or c’est impossible. Parce que choisir, c’est remédier à l’absence de vocation en se jetant à l’eau. Et ne pas savoir à l’avance exactement ce que l’on choisit. C’est ce que Kierkegaard appelait le “saut” : se jeter dans le vide et découvrir la nouvelle personne que vous êtes devenue, du fait même d’avoir fait le saut.