“La notion de politique” de Carl Schmitt : vers la guerre perpétuelle ?

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Carl Schmitt, penser la guerre par ses fondements politiques

Catholique intransigeant, antisémite compromis avec le pouvoir nazi, antilibéral, Carl Schmitt jouit d’une bien mauvaise réputation. Ce juriste allemand, élève de Max Weber, est pourtant reconnu aujourd’hui comme l’un des politologues les plus inventifs du XX^e siècle. Les deux textes réunis par les Éditions Flammarion, La Notion de politique (1932) et Théorie du partisan (1962), montrent comment de l’entre-deux guerres à la décolonisation, le travail conceptuel de Carl Schmitt garde sa pertinence : de la guerre à la guérilla, c’est toujours à partir d’une même définition du politique que les événements tragiques de l’histoire récente peuvent s’interpréter. Mais quelle est cette définition et qu’implique-t-elle pour l’avenir des peuples ?

Le couple conceptuel de base du politique : l’ami et l’ennemi

En définissant l’État comme l’instance qui possède « le monopole de la violence légitime », Max Weber enseignait déjà que l’État est impensable si l’on omet sa dimension policière et militaire. Mais c’est à Schmitt qu’on doit d’avoir approfondi cette définition, en cherchant à singulariser la notion même de politique à partir d’un premier couple conceptuel irréductible qui permet de la distinguer d’autres notions comme celle de la morale – qui repose sur l’opposition du bien et du mal – ou celle de l’économie – qui se fonde sur le rentable et le non-rentable. Ce couple conceptuel de base, c’est celui de l’ami et de l’ennemi. Ce critère discriminant est décisif parce qu’il permet de comprendre pourquoi l’ennemi n’est pas toujours immoral et peut demeurer un partenaire commercial, et pourquoi, inversement, un État vertueux et prospère n’est pas nécessairement un État ami. Plus précisément, l’ami et l’ennemi ne doivent pas être compris psychologiquement de manière privée et individualiste : ils désignent des entités collectives et publiques parce qu’ils expriment « le degré extrême d’union et de désunion » des peuples. L’intérêt de ce couple est qu’il permet de rendre compte aussi bien de la lutte entre les partis à l’intérieur d’un État que de la lutte entre les États. Cette lutte, d’ailleurs, ne mène que rarement à la guerre, « actualisation ultime de l’hostilité », qu’elle soit civile ou internationale. Mais lorsque la guerre a lieu, c’est toujours à la discrimination de l’ennemi et de l’ami qu’il faut la ramener pour la comprendre : « Une guerre menée pour des motifs prétendus purement religieux, purement moraux, purement juridiques ou purement économiques serait une absurdité. » Politique par essence, la guerre ne peut jamais être évitée selon Schmitt par une instance non politique, parce que c’est toujours l’État et seulement lui « qui désigne l’ennemi ». L’histoire allemande le prouve : « Ni une Église, ni un syndicat, ni un pacte entre les deux n’auraient interdit ou empêché une guerre que le Reich allemand sous Bismarck aurait voulu faire. » Ce n’est pas au nom d’idéaux qu’on mène une guerre : elle n’a de sens que « quand elle est dirigée contre un ennemi véritable » désigné par l’État.