“La Zone d’intérêt” : cloison maudite
En dépeignant la vie quotidienne du commandant du camp d’Auschwitz et de sa famille sans jamais montrer frontalement la réalité de la Shoah, Jonathan Glazer signe un film glaçant mais essentiel, qui bat en brèche le concept arendtien de « banalité du mal ».
Quarante kilomètres carrés autour d’Auschwitz. Voici ce que désigne la « zone d’intérêt » dans le jargon nazi. L’écrivain Martin Amis en a fait le titre d’un roman satirique ; Jonathan Glazer celui d’un film glaçant, Grand Prix du Festival de Cannes. Le réalisateur braque le projecteur sur l’officier SS Rudolf Höss, commandant du camp, son épouse Hedwig (l’excellente Sandra Hüller) et leurs enfants dans un ravissant pavillon, construit de l’autre côté d’un mur, au-dessus duquel se dressent les cheminées des fours crématoires mais autour duquel poussent des vignes. Ce cloisonnement est mental. Car il faut pouvoir s’habituer au ronflement de la machine de mort, à la détonation des fusils et aux hurlements sourds qui trament la bande-son. Par une stylisation magistrale, le cinéaste montre la beauté du paysage polonais (gâté par les fumerolles à l’horizon), la joie des enfants (à peine interrompue par des cris) ou la luxuriance du jardin familial (favorisé par l’épandage des cendres). Il rappelle par contraste l’horreur des camps, pourtant jamais montrés. La réalisation n’est pas morbide. Jonathan Glazer ne vise ni l’édification morale ni le devoir de mémoire. Il bat plutôt en brèche la « banalité du mal ». Car si Rudolf Höss semble d’abord avoir le profil du fonctionnaire zélé, doté d’une « pure absence de pensée », selon les mots de Hannah Arendt, qui pourrait ne s’être « jamais rendu compte de ce qu’il faisait », les effets de montage démentent cette interprétation. Par une extraordinaire prolepse, le bourreau, pris de nausée, visualise à un moment les camps aujourd’hui, devenus lieux de mémoire, comme s’il anticipait d’être rattrapé par l’histoire, reconnaissant ainsi n’être pas dénué de culpabilité et défendre sa funeste zone d’intérêt. Bien compris.
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