Visiter Auschwitz et faire l’expérience de l’irreprésentable
Soixante-dix-sept ans après sa libération par les soldats de l’Armée rouge, le camp d’extermination où plus d’un million d’êtres humains, dont 950 000 Juifs, ont été exterminés par les nazis, est devenu un site « touristique ». Mais on ne visite pas ce lieu-là comme une destination de vacances. Comment prendre la mesure, sur ce terrain vague où ne restent que quelques vestiges du camp, du crime sans précédent qui y a été perpétré ? Notre journaliste Ariane Nicolas raconte qu’elle a fait là, dans ce vide même, l’expérience de « l’irreprésentabilité » de la Shoah. Réflexions.
À l’été 2021, j’ai décidé de passer mes vacances en Pologne. Je voulais visiter un pays en voiture, pour une déambulation libre et spontanée, et la Polska s’est imposée rapidement : terre d’histoire, de culture et de nature – on y trouve les derniers bisons d’Europe – la Pologne est « un pays de contrastes », comme on dit parfois, avec ses barres soviétiques, ses églises en bois, ses musées bien garnis, ses restaurants étouffe-chrétiens, ses maisons forestières aux jolies toitures colorées… et, également, ses anciens camps d’extermination.
Mon entourage me l’a souvent demandé : « Et alors, tu iras à Auschwitz ? » Au départ, je ne voulais pas y aller. J’avais lu le roman Serge (Flammarion, 2021), de Yasmina Reza, dont la seconde partie décrit le cirque touristique au milieu des rails et des baraquements, les selfies devant le portique Arbeit macht frei, le flux de sneakers traversant les chambres à gaz. Obscène, désespérant. Et puis, arrivée à Cracovie, ville située à soixante-dix kilomètres du site, Auschwitz devint comme un trou noir, une masse invisible qui m’attirait vers elle. Une évidence : l’éviter revenait à la fuir. À la fin du séjour, j’ai donc décidé de m’y rendre.
Une ville (presque) comme une autre
Visiter Auschwitz, cela suppose déjà d’arriver à Auschwitz. Or, Oświęcim – son nom polonais – est une ville dynamique de taille moyenne, grande comme Lens ou Périgueux, que l’on peut traverser sans rencontrer une fois « l’événement » auquel la ville a donné son nom. À Auschwitz – son nom allemand, donc –, il y a d’abord des trottoirs, des ronds-points, des églises, une vaste zone commerciale, des habitants qui marchent et discutent. Auschwitz vit. Plus d’un million de personnes y ont été assassinées en quatre ans, un massacre à l’ampleur inégalée dans l’histoire de l’humanité sur un territoire aussi petit, et Auschwitz vit. Impensable.
Il n’existe pas de démarcation nette entre la ville et l’ancien camp d’extermination, qui se trouve simplement à sa périphérie. Guidée par le GPS, je passe ainsi devant un McDonald’s, avant de bifurquer vers le parking attenant à l’entrée du site, la célèbre gare rouge brique au toit pointu s’ouvrant vers un champ vide. Le bâtiment m’apparaît plus petit en vrai et, pour être honnête, assez banal. En tout cas, sous-dimensionné au vu de l’entreprise de mort qu’il surplombait.
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