Édito

L’addition plutôt que la soustraction

Alexandre Lacroix publié le 3 min

Supposons que vous fassiez l’amour avec un partenaire qui ne vous inspire guère. Et que vous vous sentiez près de jeter l’éponge. Ça arrive. Il est néanmoins un subterfuge permettant de relancer le désir, qui consiste à penser à quelqu’un d’autre, à visualiser dans votre esprit une personne ou une scène éminemment plaisante. Voilà un mécanisme psychologique étrange, si on le détache du simple contexte sexuel et qu’on l’envisage dans une perspective anthropologique plus large : l’être humain est capable de mener une action à bien tout en imaginant qu’il est en train de faire autre chose, dans un autre contexte, avec d’autres objets ou d’autres personnes. On pourrait appeler ce mécanisme, par lequel le désir se nourrit d’une image que l’on interpose entre soi-même et le réel perçu, l’interpolation.

Personnellement, j’ai toujours éprouvé quelques réticences vis-à-vis de la théorie que développe Sigmund Freud au sujet des pulsions et de leur possible sublimation. Selon Freud, il existerait une quantité d’énergie pulsionnelle donnée, que l’on peut dépenser dans la vie érotique mais aussi dans les activités intellectuelles supérieures. C’est ainsi qu’il présente les choses dans ses Leçons d’introduction à la psychanalyse : « Nous croyons que la culture a été créée sous la poussée des nécessités vitales et aux dépens de la satisfaction des instincts […]. Parmi les forces instinctives ainsi refoulées, les émotions sexuelles jouent un rôle considérable : elles subissent une sublimation, c’est-à-dire qu’elles sont détournées de leur but sexuel et orientées vers des buts socialement supérieurs et qui n’ont plus rien de sexuel. » Freud a prononcé ces mots il y a un siècle, en 1915 ; à l’époque, il choquait ses auditeurs car il assignait une possible origine sexuelle à l’art et à la culture. Ce qui me gêne, dans cette affirmation, c’est qu’elle trahit une mentalité de petit épargnant, de boursicoteur du dimanche : tout se passe comme si chacun détenait un capital libidinal donné une fois pour toutes, à la manière d’un héritage physiologique, et comme s’il était possible de l’investir dans le plaisir ou dans l’art, mais pas dans les deux à la fois. D’où des frustrations et des déséquilibres inévitables.

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