Le libre arbitre existe-t-il ?
La question du libre arbitre est à peu près aussi ancienne que la philosophie. Dans Le Libre Arbitre à l’épreuve de la science (Éliott Éditions, 2022), Alfred Mele, professeur de philosophie américain (à l’université d’État de Floride), prend le contre-pied de tous ceux qui s’autorisent d’études scientifiques assez récentes pour affirmer que le libre arbitre ne serait qu’une illusion de notre conscience qui s’attribuerait plus de pouvoir qu’elle n’en a réellement.
Préférant la prudence à l’idéologie, il considère au contraire que « l’illusion est de penser qu’il existe des preuves scientifiques solides de son inexistence ».
Le Libre Arbitre à l’épreuve de la science, d’Alfred R. Mele, vient de paraître chez Éliott Éditions (100 p., 11,90 €). Il est disponible sur le site de l’éditeur ainsi que chez votre libraire.
Une controverse classique dans l’histoire de la philosophie
Le terme de libre arbitre – en anglais free will,« volonté libre » – désigne en français la capacité de choisir et de se déterminer librement et par soi-même, indépendamment de toutes les déterminations, influences et pressions que l’on peut subir. Décidons-nous nous-mêmes de nos actions grâce à notre conscience et à notre réflexion, ou celles-ci ne sont-elles que des chambres d’enregistrement d’un mécanisme qui s’effectue indépendamment de nous ? La question divise les philosophes depuis des millénaires. Déjà, dans le Phédon de Platon, par exemple, Socrate s’oppose à Anaxagore qui prétendait tout expliquer physiquement, c’est-à-dire par des causes matérielles comme « l’air, l’éther, l’eau », sans tenir compte des décisions que nous prenons librement. Plusieurs siècles plus tard, certains philosophes comme Descartes ont fait de l’existence du libre arbitre un fondement de la leur philosophie, tandis que d’autres, comme Spinoza ou Nietzsche, l’ont tenu pour une simple illusion qui ne saurait contrevenir à l’ordre du monde.
La science comme arbitre ? L’argument de la neurobiologie
On comprend, dans ces conditions, l’espoir de voir la science venir jouer le rôle d’arbitre – libre ? – et trancher le débat. Alfred Mele identifie en effet deux grands types d’arguments scientifiques qui sont fréquemment utilisés par ceux qui veulent prouver l’inexistence du libre arbitre. Le premier, issu des neurosciences, considère que nos décisions sont prises de manière inconsciente dans le cerveau et que la conscience n’intervient qu’après coup pour prendre connaissance de ce qui s’est décidé en amont d’elle. C’est ce que semblent avoir montré les travaux du psychologue et neurologue américain Benjamin Libet (1916-2007) avec ses électroencéphalographes reliés à des chronomètres, lesquels ont permis de mesurer l’antériorité d’une activité cérébrale par rapport au moment où s’effectue une décharge musculaire (qui elle-même correspond à un mouvement intentionnel). Mais Alfred Mele en conteste les conclusions que certains ont cru pouvoir en tirer : selon lui, il n’est pas sûr que les électroencéphalographies repèrent le moment où se décide l’action, car elles peuvent ne marquer que « la préparation à une action, même quand la personne n’a pas l’intention de l’accomplir ».
La science comme arbitre ? L’argument de la psychologie sociale
Le second argument vient de la psychologie sociale et repose sur le fait qu’il existe des facteurs qui influencent nos comportements à notre insu, en particulier les situations dans lesquelles nous nous trouvons et qui nous poussent à agir inconsciemment dans un sens ou dans un autre. Mais qu’il s’agisse des cobayes de l’expérience de Milgram ou des gardiens de prison de l’expérience de Stanford, il faut – là encore – prendre garde avant de conclure à une quelconque forme de déterminisme, prévient Mele. Pour ce dernier, en effet, les acteurs de ces expériences gardaient leur libre arbitre : « Qu’ils n’aient pas résisté n’exclut pas qu’ils avaient la liberté de le faire. […] La situation ne leur a pas ôté toute autre option », et un comportement différent reste toujours possible, parce qu’aucune situation ne saurait nous transformer en pur et simple automate ou, pire, en zombie.
Une (double) bonne nouvelle
En même temps qu’il invite donc la « science » à faire davantage preuve de modestie, Alfred Mele estime donc qu’en toute rigueur aucune preuve n’a été apportée à ce jour permettant de conclure à l’inexistence du libre arbitre. Bien sûr, cela ne signifie pas non plus qu’on puisse assurer qu’il existe, mais ce doute suffit à réjouir le philosophe et à lui faire juger que c’est une « bonne nouvelle ». D’abord, parce des études tendent à montrer que ceux qui croient à l’existence du libre arbitre se comportent de façon plus morale, ce que le philosophe explique aisément : « Moins vous avez confiance en votre libre arbitre, moins vous avez l’impression d’être responsable ou coupable de ce que vous faites. » Mais on pourrait ajouter une deuxième raison : laisser indécise la question de l’existence du libre arbitre va permettre de continuer à philosopher pendant longtemps encore.
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