Le non, un oui en puissance ?

« Nous sommes plusieurs à NE PAS vouloir faire mine d’être fiers et méritants d’obtenir ce diplôme à l’issue d’une formation qui pousse globalement aux ravages sociaux et écologiques en cours. » Ils sont huit sur la scène de la salle Gaveau à Paris, en avril dernier, à prendre la parole lors de la remise des diplômes de la prestigieuse école d’ingénieurs AgroParisTech. Tour à tour, ces jeunes diplômés expriment le doute qui les a saisis au terme de leur formation, alors qu’ils sont censés accéder à des jobs de pointe dans l’industrie agro-alimentaire. Ils craignent de devoir trafiquer les plantes pour des multinationales, d’inventer des pseudo-labels verts ou durables, ou de « compter des grenouilles et des papillons pour que les bétonneurs puissent les faire disparaître légalement ». Bref, ils ne veulent pas mettre leurs savoirs et compétences au service d’une « guerre contre le vivant ». Aussi ont-ils fait part à leurs camarades de promotion de leur décision de faire défection, en « désertant » ou en « bifurquant ». « Nous nous adressons à celles et ceux qui doutent, que ce doute soit quotidien ou fugitif. […] Vous n’êtes pas les seuls à trouver qu’il y a quelque chose qui cloche. Nous aussi, nous avons douté et nous doutons parfois encore. Mais nous refusons de servir ce système. Et nous avons décidé de chercher d’autres voies, de construire nos propres chemins. » Partagée des centaines de milliers de fois sur les réseaux sociaux, leur prise de parole a fait le buzz. Elle s’inscrit dans un malaise croissant et un « sécessionnisme doux », dans ce que la sociologue Monique Dagnaud nomme l’« alter--élite ». Mais, au-delà des jeunes et de la question écologique, la tentation de la sécession résonne aujourd’hui dans la tête de tout un chacun. Et donne à penser à tous.

Dire « non » : décliner une proposition, se retirer, s’opposer, mettre le holà à une situation ou en dénoncer le tragique (« oh non ! »), et doubler cet acte d’une parole qui peut prendre la forme d’une simple formule de politesse (« non, merci ! »), d’une tirade véhémente (« non, mais cela ne va pas bien dans ta tête ! ») ou d’un long discours, comme celui des étudiants d’AgroParisTech. Quels sont le sens et la portée de ce petit mot apparemment anodin ? Que faisons-nous quand nous disons non ? Et pourquoi ce geste nous parle-t-il tant aujourd’hui, alors que, de tous côtés, dans tous les domaines, le sentiment d’être dans une impasse accompagné de l’absence d’alternative crédible se renforce.

« Non, c’est non ! » affirmaient avec force les femmes lors du mouvement #metoo, dénonçant le penchant des hommes à ne pas vouloir entendre leur parole. Mais faisant aussi de cette double négation le levier de l’éthique du consentement qu’elles entendent installer au cœur des relations entre les hommes et les femmes. Dans le clip de la chanson Balance ton quoi ? d’Angèle, un jeune homme, incarné par l’acteur Pierre Niney, pose la question lors d’une parodie de séminaire de formation aux nouvelles mœurs sexuelles : « Mais quand une fille dit non, souvent j’ai l’impression que cela sous-entend que c’est… — C’est non ! » lui répondent en chœur les filles qui l’entourent. Solitaire et discret, le « non » manque de force pour faire barrage aux puissances qui assaillent l’individu – ici, ceux du sexisme. Mais, en le réitérant de manière impérative et collective, il est possible de libérer toute la force de résistance, voire de réinvention, dont il est porteur.