Le spectre du capital
Décidé à mettre au jour les fondements matériels de l’Histoire et de la société, Marx retrouve, dans la valse des marchandises et des valeurs, le processus d’aliénation qui cache à l’homme sa véritable essence. Et dessine sous l’horizon du communisme les voies de l’émancipation.
Marchandise
Lisons la première phrase du Capital : « La richesse des sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste apparaît comme une gigantesque collection de marchandises. » Qu’est-ce qu’une marchandise ? Elle revêt un double aspect : c’est tout d’abord une chose ayant une « valeur d’usage », c’est-à-dire une utilité satisfaisant certains besoins (le pain assouvit notre faim, et certains trouvent du plaisir à fumer des cigares). Ensuite, et c’est ce qui définit réellement la marchandise, elle possède une « valeur d’échange », en tant qu’elle est mise en circulation sur un marché et s’acquiert à un certain prix. Marx se nourrit ici des analyses des économistes anglais classiques, Smith et Ricardo en tête. Mais il s’en éloigne radicalement en proposant une nouvelle théorie de la valeur : selon lui, celle-ci tire son origine de la quantité de travail nécessaire à la production. Or les économistes classiques occultent cet ancrage humain, historique et social de la valeur ; ils postulent que les lois de l’économie de marché sont inflexibles, naturelles. De manière générale, le capitalisme rend invisible ce qui est à la base de la valeur. Les marchandises sont détachées des conditions réelles de leur production, s’autonomisent et acquièrent un caractère de « fétiche ». Les producteurs leur confèrent des propriétés et des pouvoirs intrinsèques, comme si elles les possédaient par nature… et comme par magie. C’est là un « quiproquo », une mystification que Marx compare aux fables nées du « royaume nébuleux de la religion » : de la même façon que nous oublions que les dieux ne sont rien d’autre que les « produits de notre cerveau », nous oublions que les marchandises ne sont rien d’autre que « les produits de nos mains ». Le capitalisme, ou le règne généralisé de la marchandise-totem et du travail-tabou.
Travail
Quoi de plus naturel ? Et pourtant… Pour Marx, le travail n’est pas une fatalité (le « Tu travailleras à la sueur de ton front » biblique) ou une calamité en soi. Il est plutôt une catégorie fondamentale de l’existence, en tant que vecteur d’une double transformation, de la nature par l’homme, et de l’homme par lui-même : « En agissant sur la nature extérieure et en la transformant par ce mouvement, il transforme sa propre nature » (Le Capital). Le travail permet de nous réaliser nous-mêmes, de développer les « potentialités latentes » de notre condition. Las, le mode de production capitaliste rompt cette promesse d’une affirmation de soi. Il fait du travail une marchandise qui, comme les autres, doit acquérir une valeur d’échange. Le « travail concret » (à vocation utilitaire : scier une planche, cuire du pain, etc.) se transforme alors en « travail abstrait ». En d’autres termes, les diverses activités à l’origine des biens et des services doivent être ramenées à un dénominateur commun pour pouvoir être comparées entre elles, et échangées contre de l’argent. Ce ne sont plus seulement les produits du travail qui sont échangeables, mais aussi les formes de travail humain qui « se cachent » derrière eux. Les travailleurs sont ravalés au rang de choses monnayables, et Marx ne cessera de s’en insurger. Jusqu’à préconiser l’abolition du travail ? C’est plutôt son organisation telle qu’elle est promue par le capitalisme qu’il faut briser. Par-delà ses critiques, Marx conçoit toujours le travail comme une base nécessaire du développement individuel et collectif. Il correspond à ce « royaume de la nécessité » sur lequel pourra s’édifier « le véritable royaume de la liberté ».
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