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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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© Elene Usdin pour PM

Les vertiges du mal

Jean-Claude Fondras, propos recueillis par Mathilde Lequin publié le 19 juillet 2012 13 min

Elle foudroie sans crier gare, se rappelle à chaque pas de danse ou redonne vie à un membre fantôme : la douleur, parfois, s’installe au centre de l’existence. Confrontés au regard du médecin et philosophe Jean-Claude Fondras, cinq hommes et femmes nous disent leur lutte intime avec la souffrance.

Longtemps la médecine a vu dans la douleur un partenaire : un signal médical qui devait permettre de remonter vers la cause de la maladie mais aussi un aiguillon pour le corps du patient qui l’incitait à se rétablir dans un état normal. C’est la raison pour laquelle on ne donnait pas systématiquement d’antalgique au patient, du moins avant d’avoir établi le diagnostic : endormir la douleur c’était se priver d’indices précieux mais aussi retirer au corps des forces dans son combat contre la maladie. Aujourd’hui, on est revenu de ce dolorisme médical : on considère que l’on fait un meilleur diagnostic si le patient ne se tord pas de douleur… Et le traitement de la douleur est devenu un objectif en soi.

C’est l’anesthésiste John Bonica qui a initié ce mouvement au États-Unis dans les années 1950 avec ses “cliniques de la douleur”, qui proposent des stratégies thérapeutiques “holistiques” associant traitements physiques, médicamenteux, psychosociaux, etc. Combiné avec les recherches en neuro-sciences, ce mouvement a abouti à une remise en question fondamentale de notre conception classique de la douleur, issue de Descartes. Dans son Traité de l’Homme, le philosophe propose un schéma qui est resté longtemps celui de tous les manuels de médecine : un enfant se brûle le pied, l’information passe dans les nerfs périphériques, puis, via la moelle épinière, au cerveau. Le circuit de la douleur est conçu comme une sensation qui remonte de manière linéaire depuis la périphérie des récepteurs cutanés vers le système central. Une vision qui était encore celle du prix Nobel de médecine, Charles Scott Sherrington [1857-1952], inventeur de la “nociception”, la réception nerveuse de la douleur… Or, ce schéma ne résiste plus à l’examen. D’abord le système d’alarme peut “buguer” : nous alerter sur le fait qu’un oiseau s’est posé sur la vitre et ne pas voir que des voleurs sont en train de dévaliser les caisses. Ou devenir une pathologie en soi, comme dans les douleurs chroniques. En réalité, la douleur n’est pas la perception d’un stimulus objectif mais une expérience vécue, où se mêlent la sensation, les attentes, la psychologie, le tempérament, la culture et le langage. Un médecin travaillant sur le front italien pendant la Seconde Guerre mondiale avait noté que les soldats rapatriés après une blessure consommaient beaucoup moins de morphine que les civils blessés dans le combat. Il en avait déduit que, pour les soldats, une blessure légère équivalait à une “bonne” nouvelle (échapper au front). Alors que pour les civils une blessure entraînait souvent la destruction des liens avec les proches. C’est ce que révèlent tous vos témoignages : on ne peut pas isoler le physique en omettant le récit de la maladie ou de la vie du patient. La douleur n’est pas un mécanisme mais une expérience ambivalente. Elle est privée mais en même temps liée à la culture et au langage, à tous ces mots qui nous permettent, en les identifiant avec d’autres, d’apaiser nos maux. Elle révèle l’adhésion mais aussi la distance du sujet par rapport à son corps souffrant. Il voudrait bien manipuler son corps comme un objet, mais il n’y arrive pas et il subit sa tyrannie. Quant à l’effet de la douleur, il est très profond : c’est l’espace de nos possibles qui diminue, c’est le monde lui-même qui se rétrécit. Dans la Phénoménologie de la perception, Maurice Merleau-Ponty parle de la “voluminosité primitive de la douleur” : elle peut être faible ou envahir tout le champ de la conscience. Les philosophes, et les médecins, ont longtemps rêvé d’emmener promener le corps souffrant. Aujourd’hui, le public nous demande de le débarrasser de la douleur. Contre ces illusions, il nous faut réapprendre à faire une place à cette expérience irréductible. »

 

« Tu es la douleur, elle vient du plus profond de toi »

Marco, 34 ans, designer, a souffert de céphalées en grappe

Je vais vous décrire les sensations d’une crise de “céphalée en grappe”, qu’on appelle aussi “maladie du suicide”. Pendant quelques secondes, on ressent une sensation de chaleur sur la moitié de la tête, qui se transforme en une douleur très intense et incontrôlable. Rien à voir avec la douleur qu’on éprouve si on se fait mal à la main. Car ce n’est pas une douleur localisée en un point du corps précis, ce n’est pas une douleur que la conscience peut considérer comme quelque chose d’extérieur à elle et donc maîtriser. Au contraire, c’est une douleur qui vient de l’intérieur même du cerveau. Elle ne peut pas être ressentie comme quelque chose de local ni d’extérieur, elle est centrale. Le cerveau est l’organe souffrant. Autrement dit, tu es la douleur, elle vient du plus profond de toi. Quand tu sens que la crise va venir, tu peux prendre de la cortisone. Mais elle mettra une demi-heure à agir, une éternité. Certains jours, je n’avais aucune crise. Mais la douleur pouvait aussi revenir jusqu’à sept ou huit fois en une seule journée. Quand je sentais l’approche d’une crise, je m’isolais dans le noir. Dans des moments pareils, si quelqu’un te parle, tu ne l’entends pas. Personne ne peut t’aider. À la limite, tu as envie de te casser un bras pour pouvoir ressentir une autre douleur, plus normale. Je suis allé voir des médecins, mais ils ne connaissent pas l’origine de cette maladie et n’ont pas de traitement adapté. J’allais sur Internet, sur des forums, où on peut lire : “Aujourd’hui, j’ai ressenti la douleur trois fois.” Pas besoin d’en dire plus. Les autres, qui savent de quoi on parle, compatissent. Cela donne un peu de réconfort, mais je crois que ces sensations sont incommunicables. J’ai commencé à avoir ces crises vers 20 ans, à une époque où je pratiquais beaucoup le kung-fu. Cet art martial m’a aidé à en sortir : c’est une école de la maîtrise de soi. Après un an et demi de crises régulières, j’ai décidé de me débarrasser de cette maladie. J’ai senti que j’étais incapable de vivre ainsi, dans la terreur continuelle qu’une crise me tombe dessus. Un matin de printemps, je me suis juré de ne plus jamais avoir de céphalée. Cette promesse-là est en moi pour toujours et il n’y a que la mort qui pourra la défaire. Oui, aussi étrange que cela puisse paraître, c’est par un acte de volonté pure que je me suis délivré de cette pathologie. »

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