L’étrangeté

publié le 3 min

Si nous nous détachons de nos automatismes et habitudes de pensées, le monde se révèle étrange… Un vertige que captent à merveille les métaphores.

L’étrangeté se trouve dans l’œil de celui qui découvre ce qu’il regarde, c’est-à-dire le déshabille. Tel un mot qui, à force d’être répété, perd de sa signification, l’étrangeté manifeste le monde avant les hommes, la matière avant la forme. Dépouillés, soudain, par la grâce d’un regard candide, des filtres dont l’habitude et l’utilité les ont recouverts à nos yeux, l’évidence redevient une énigme, l’outil redevient un obstacle, le familier retourne à l’étrange. C’est la leçon de La Nausée de Sartre, dont l’antihéros, Antoine Roquentin, qui se contentait, jusque-là, de vivre comme tout le monde, s’avise, un beau jour, que les hommes ressemblent à des « paquets tièdes » dont chaque main est un « gros ver blanc » que prolongent les « pattes d’un crabe tombé sur le dos », que la langue est un « mille-pattes qui gratte la gorge », la banquette « un cadavre à l’envers », le visage « une carte géologique à la lisière du monde végétal » où s’entrelacent « crevasses et taupinières », et le sexe féminin un « petit jardin avec des arbres bas et larges d’où pendent d’immenses feuilles couvertes de poils où courent des fourmis et des teignes »… L’étrangeté, c’est l’art d’être dépaysé chez soi.

Expresso : les parcours interactifs
Comment résister à la paraphrase ?
« Éviter la paraphrase » : combien de fois avez-vous lu ou entendu cette phrase en cours de philo ? Sauf que ça ne s’improvise pas : encore faut-il apprendre à la reconnaître, à comprendre pourquoi elle apparaît et comment y résister ! 
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