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L’horreur du cri

Ariane Nicolas publié le 15 décembre 2023 3 min

« Mercredi prochain, sort au cinéma Munch, un film sur la vie du peintre norvégien que j’ai eu la chance de découvrir en avant-première et que je vous recommande d’aller voir. En poursuivant la méditation après le visionnage, il y a quelques jours, je me suis demandé pourquoi le cri, non pas le tableau mondialement célèbre mais l’acte même de crier, me faisait parfois horreur, au point d’en perdre mes moyens.

Crier est le premier acte qu’un être humain effectue lorsqu’il vient au monde. À peine sorti du ventre de sa mère, le nourrisson témoigne de sa bonne santé dans un hurlement. Kant y voit un trait proprement humain : “Aucune bête en dehors de l’homme tel qu’il est maintenant n’annonce ainsi son existence au moment où il naît” (Anthropologie du point de vue pragmatique, 1798). Ce premier cri, rassurant quoique strident, sort le nouveau-né de l’état de nature et l’intègre symboliquement au monde civilisé : “Le cri de l’enfant qui vient de naître n’a pas le ton de la plainte, mais de l’indignation et de la colère qui explose ; ce n’est pas qu’il ait mal, mais il est contrarié ; probablement parce qu’il veut se mouvoir et qu’il éprouve son impuissance comme une entrave qui lui retire sa liberté.” Liberté qui constitue l’essence et la grandeur de notre espèce, pour Kant.

Le cri humain est toutefois teinté d’ambivalence. Chez le bébé, il révèle tantôt la marque du manque, de la contrariété ou de la détresse, tantôt celle de la jubilation et de l’émerveillement. J’ai souvent été frappée de voir des enfants passer du rire aux larmes dans un même cri, sans bien comprendre la logique à l’œuvre dans la tête du petit brailleur. Les adultes élaborent, par la suite, des espaces et des moments de vie où il leur est possible de revivre ces cris de jeunesse. Les arènes sportives ou musicales jouent ce rôle défouloir : on peut hurler “aaaaah”, “ouuuuuh”, “yeaaaaah” sans passer pour un dangereux protozoaire. Le reste du temps, extase sexuelle mise à part, le cri est plutôt disqualifié, voire proscrit. On juge mal – et à raison – le fait de crier sur un enfant, un collègue, un conjoint. Quand il ne signale pas un danger, le cri vaut pour agression.

Je fais partie des gens qui ont grandi au milieu des cris. Certains foyers sont plus agités que d’autres, et les murs, jamais capables de retenir tous les sons. Parfois, il n’y a tout simplement pas de mur entre le cri et vous. Le rugissement fend l’air et vous traverse de part en part. On se demande alors : pourquoi me crie-t-on dessus ? Plus rien ne semble avoir de sens. Comme dans le tableau de Munch, le ciel vire au rouge et la terre se disloque sous vos pieds. Pendant de ce que l’on appelle – souvent de manière trop complaisante – une “dispute”, le premier cri proféré vise à faire taire, mais aussi à susciter un cri en retour, dans une aspiration à la surenchère sonore qui peut devenir infernale. Aucune bonne réponse n’est possible face à un cri. La personne qui lève la voix se noie dans sa rage et essaie de nous rendre complice de sa perdition, de faire de nous un ennemi du silence, comme elle.

Cette contagion du cri est sans doute propre à toute forme de violence. Mais elle est d’autant plus difficile à accepter dans le cas du cri agressif, par rapport à la violence physique, que la parole devrait, bien au contraire, permettre de résorber la violence, de la dépasser. “Nous ne sommes hommes et nous ne tenons les uns aux autres que par nos paroles”, écrit Montaigne dans ses Essais (I,9). Le cri adulte rompt cette promesse d’une parole liante et pacificatrice, qui permet à la société de tenir bon. La vocifération engage un processus belliqueux, dont l’horizon ultime est la destruction du collectif. Pour éviter que les situations conflictuelles, malheureusement inévitables au sein d’un couple ou d’une famille, ne dégénèrent de la sorte, il peut paraître bon d’essayer – à défaut de réussir toujours – de poser un petit principe de base : pas de cri. Sauf si, bien sûr, ce dernier est mis sous verre et accroché au mur, près de la cheminée. »

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