Lignes de faille
Le choc du Covid faisait craindre un effondrement – sanitaire, économique, logistique. Pourtant, et pour l’essentiel, nous avons tenu. Comment ? Réponses avec une macroéconomiste, un mathématicien spécialiste des systèmes complexes, un ingénieur agronome et une chercheuse en psychologie.
Denis m’avait prévenu : « On dépend des réseaux, en flux tendus, tout le temps… Il suffit d’un grain de sable dans le système et c’est fini : plus de gaz, plus d’eau, plus de sécurité, les pillages commencent. » Nous l’avions rencontré en Dordogne pour une enquête sur le survivalisme français (lire Philosophie magazine n° 136). Quelques mois après sa publication, nous étions confinés. La pandémie précipitait les citoyens dans les supermarchés et les pharmacies. Pénurie alimentaire, faillites, crise économique sans précédent, le cauchemar de quelques anxieux avait pris en un claquement de doigts les proportions d’un cataclysme mondial en marche.
Malgré une centaine de milliers de morts, la France ne s’est pas effondrée. Les rayons sont restés garnis, il n’y a pas eu de ruptures majeures dans les chaînes de production et de distribution de biens, l’économie a tenu au mépris des principes de l’orthodoxie libérale. Les dettes souveraines ont bondi à des niveaux jugés naguère insoutenables – en France, elle atteint 120 % du produit intérieur brut (PIB) –, mais en parallèle, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la plupart des économies avancées devraient retrouver leur niveau de PIB avant la fin de 2022. Pour la Chine et les États-Unis, c’est déjà le cas. En 2020, le nombre de faillites a même fortement reculé dans les pays dits riches : l’Espagne, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni ont enregistré des baisses respectives de 14 %, 17 %, 40 % et 27 %.
Du rôle contracyclique de l’État
Sur le plan économique, c’est la puissance contracyclique de l’État qui fait que nos sociétés ont pu tenir, selon Anne-Laure Delatte, chercheuse au CNRS. « Dans les pays du Nord, les pouvoirs politiques ont pesé très fort sur l’économie. Aux États-Unis, même un Trump qui n’a pas encouragé les mesures sanitaires a signé deux plans de soutien à l’économie et massivement subventionné l’innovation vaccinale. La Banque centrale européenne, censée être indépendante des gouvernements et dont le mandat proscrit toute intervention dans les finances publiques, a massivement racheté les titres de la dette des pays européens via l’émission monétaire. En période de crise, les pays puissants savent dévoyer les mécanismes du marché ! Sortez le politique par la porte, il rentre par la fenêtre ! » Y a-t-il des risques d’inflation ? « Peut-être dans certains secteurs où l’offre met plus de temps à reprendre, comme les biens d’équipement. Mais c’est tout. L’afflux de liquidités dans les banques après le rachat des dettes européennes n’a pas inondé l’économie réelle mais les marchés financiers ou même l’immobilier des centres-ville. La montée des prix concerne donc les actifs immobiliers ou financiers, soit une toute petite partie de la population. » Et peut-on s’attendre à un mur de faillites avec la suspension des aides ? « Avec le télétravail et le chômage partiel, il y a eu peu de pertes de richesse dans la population. L’activité va donc reprendre, et les entreprises qui vont fermer auraient cessé leur activité même sans la pandémie. »
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