Michael Haneke : “Le mal accapare celui qui le commet”
Ses films ont choqué le public du Festival de Cannes, dont la prochaine édition se déroule du 14 au 25 mai 2014. Ce qui ne l’a pas empêché de remporter par deux fois la Palme d’or. Dialogue avec un cinéaste fasciné par les ambiguïtés de la morale.
La première fois où vous êtes allé au cinéma, c’était pour voir une adaptation de Hamlet. Ce fut pour vous un choc…
Michael Haneke : J’avais 5 ans et je me suis retrouvé avec ma grand-mère dans un cinéma. On voyait un château au bord de la mer, des vagues qui déferlaient, tandis que résonnait une musique lugubre, et j’étais face à cette image géante… Je ne m’en souviens pas précisément, mais, à l’évidence, ma peur a dû être telle que je me suis mis à pleurer, puis à hurler, au point de devoir quitter la salle. Je n’ai rien vu du film, sinon les deux ou trois premières minutes…
Vous évoquez également une autre expérience en tant qu’enfant au cinéma, au cours d’un séjour au Danemark…
Oui, et cette fois je m’en souviens très bien. C’était un film qui se déroulait en Afrique, avec des animaux… J’étais totalement fasciné. La fin du film est arrivée, et nous nous sommes retrouvés dans la rue. Il y faisait noir ; c’était le soir, et là je n’ai pas compris. J’ai dit : « Mais on était en Afrique, comment est-ce qu’on peut être à nouveau ici ? » A posteriori, je crois que ça a été un moment décisif pour moi, pour ma défiance par rapport au médium. Cette capacité des images à générer l’illusion…
Roland Barthes parle de l’« effet de réel » qu’engendrent les images – est-ce de cet effet que vous avez pris conscience ?
J’ai grandi à une époque où la télévision n’allait pas encore complètement de soi. Quand on grandit avec une télévision dès son plus jeune âge, on ne peut pas en prendre conscience de la même manière. Je préfère ne pas savoir à combien de traumatismes est exposé un enfant qui ne peut pas encore s’exprimer et prend ces images pour la réalité. Voilà pourtant le dilemme de l’homme d’aujourd’hui : il croit qu’il voit la réalité en regardant la télé alors qu’elle n’a que peu à voir avec la réalité.
« Faire des films entraîne une responsabilité morale»
Michael Haneke
Platon, dans son allégorie de la caverne, avait déjà décrit ce pouvoir des images : les hommes voient des ombres sur un mur qu’ils prennent pour des êtres vivants… Diriez-vous de votre travail qu’il s’efforce d’immuniser contre le pouvoir séducteur des images ?
C’est ce que j’essaie de faire, oui. Je m’emploie à instiller la défiance face à la crédibilité du médium. Faire des films entraîne une responsabilité morale. Nous savons, parce que nous en avons fait l’expérience politique, qu’avec des images on peut tout faire passer. À chaque fois qu’on peut le montrer aux gens, il faut le leur rappeler, parce que c’est la chose la plus judicieuse à faire : ce n’est pas la réalité. C’est quelque chose d’autre.
«Moi aussi je manipule, la question est de savoir à quelle fin»
Michael Haneke
On en a un exemple dans votre film Funny Games : les deux jeunes gens qui prennent tant de plaisir à massacrer une famille s’adressent directement à la caméra, au spectateur. À l’inverse, vous pouvez aussi présenter la violence de manière à ce qu’elle choque par son réalisme. Dans Caché, on voit un homme se trancher la gorge de manière soudaine et presque incidente…
Je trouve fâcheux de présenter la violence au cinéma comme un article de consommation. J’ai vu récemment, sur petit écran, Django Unchained de Tarantino. C’est un maître et un virtuose. Mais le film… On entend une détonation, on voit quelqu’un voltiger par une porte et on rit. Le grotesque sert toujours à banaliser. L’humour est un moyen de faire passer l’indicible en le rendant consommable sans avoir à subir l’impression que produit l’indicible. Il y aurait un petit film amusant à faire sur la manière dont les gens se font tuer dans l’histoire du cinéma. Il suffirait d’aller de dix ans en dix ans…
Pas si vite nous dit Spinoza, dans cet éloge à la fois vibrant, joyeux et raisonné de l'amour en général.
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