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Monique Wittig pose après avoir reçu le prix Médicis pour son livre “L’Opoponax”, le 30 novembre 1964. © UPI/AFP

Hommage

Monique Wittig en quatre citations expliquées

Octave Larmagnac-Matheron publié le 03 janvier 2023 7 min

Il y a vingt ans disparaissait Monique Wittig. Figure emblématique du Mouvement de libération des femmes et pionnière des études de genre, elle éleva le lesbianisme au rang de choix politique. Retour sur les apports majeurs de sa réflexion en quatre citations expliquées issues de son ouvrage majeur, La Pensée straight (Balland, 2001).


« Ce qui fait une femme, c’est une relation sociale particulière à un homme »

Tel est le point de départ et centre névralgique du féminisme matérialiste de Monique Wittig : « homme » et « femme » ne sont pas des catégories naturelles, mais des constructions sociohistoriques indissociables l’une de l’autre, articulées l’une à l’autre par un rapport de « domination » comparable au « servage » : le régime de « l’hétérosexualité obligatoire », « système social basé sur l’oppression et l’appropriation des femmes par les hommes ». En témoignent notamment de nombreuses expressions culturelles où se dévoilent la vérité du rapport sexué : « Si l’on juge par les expressions de “désir” dont les hommes usent avec les femmes (viol, pornographie, meurtre, violence et humiliation systématique), ce n’est pas de désir dont il s’agit ici, mais plutôt d’un exercice de domination. »

L’essentialisation de ce rapport sexué, dont l’autre nom est « hétérosexualité », est une manière d’asseoir l’oppression d’une classe par l’autre en en faisant une réalité éternelle incontestée et incontestable – une manière de tuer dans l’œuf tout mouvement de révolte en faisant d’une « opposition » une simple « différence ». « Masculin/féminin, mâle/femelle sont des catégories qui servent à dissimuler le fait que les différences sociales relèvent toujours d’un ordre économique, politique et idéologique. […] La-femme n’est pas chacune de nous mais une construction politique et idéologique qui nie “les femmes” (le produit d’une relation d’exploitation). La-femme n’est là que pour rendre les choses confuses et pour dissimuler la  réalité “des femmes”. » Cette essentialisation du rapport sexué s’enracine dans une naturalisation de « la » femme où la question de la maternité devient primordiale : « Une femme, c’est un corps considéré exclusivement […] selon une finalité d’engendrement propre à un régime hétérosexuel. »

 

« La classe des hommes s’est approprié l’universel »

Femmes et hommes appartiennent donc à deux classes inégales, dont seule l’une peut prétendre à l’universel, selon Monique Wittig. « Historiquement, on peut constater que la classe des hommes s’est approprié l’universel et la possibilité de le manipuler à son compte sans qu’il semble même y avoir abus de pouvoir, en somme “naturellement”. » Si l’homme est comme chez lui dans l’universel, c’est toutefois que l’universel tel qu’il s’est exprimé historiquement ne l’est pas vraiment, qu’il est surtout à la mesure de l’homme. « Il faut bien comprendre que les hommes ne sont pas nés avec une capacité pour l’universel qui ferait défaut aux femmes à la naissance, réduites qu’elles seraient par constitution au spécifique et aux particuliers. » Ce dévoiement se manifeste au plus haut point dans la manière dont nous concevons spontanément l’être humain : « Ce qui a été considéré jusqu’à présent comme humain dans notre philosophie occidentale ne concerne qu’une minorité de personnes : les hommes blancs, les propriétaires des moyens de production ainsi que les philosophes qui depuis toujours théorisent leur point de vue comme étant absolument le seul possible. »

Monique Wittig n’appelle pas pour autant à un abandon de l’universel au profit du particularisme, mais au contraire à un réinvestissement de l’universel afin d’en dérober la propriété à l’homme. « Les femmes ne devraient jamais formuler cette obligation à être différentes (reléguées à la catégorie de l’Autre) comme un “droit à la différence”, ne devraient jamais s’abandonner à la “fierté d’être différentes”. […] Ni la Pensée de l’Autre ni la pensée de la Différence ne devraient être possible pour nous, parce que rien de ce qui est humain est étranger. » L’universel – le véritable, celui qui englobe l’ensemble des singularités humaines plutôt que des différences sexuées caricaturales et génériques – est l’horizon qu’il faut chercher à atteindre, selon la philosophe. Et il peut être atteint. « Que l'universel ait été approprié historiquement, soit. Mais un fait de telle importance en ce qui concerne l’humanité n’est pas fait une fois pour toutes. Il se refait, se fait sans cesse, à chaque moment, il a besoin de la contribution active, hic et nunc, de l’ensemble des locuteurs pour prendre effet sans relâche. »

 

« La catégorie de sexe imprègne tout le corps du langage »

Le terme de « locuteur » est ici important. Car l’appropriation de l’universel par les hommes se révèle particulièrement puissante dans le langage. « La catégorie de sexe est une catégorie totalitaire qui, pour prouver son existence, a ses inquisitions, ses cours de justice, ses tribunaux, son ensemble de lois, ses terreurs, ses tortures, ses mutilations, ses exécutions, sa police. Elle forme l’esprit tout autant que le corps puisqu’elle contrôle toute la production mentale. Elle possède nos esprits de telle manière que nous ne pouvons pas penser en-dehors d’elle. » C’est en premier lieu par l’entremise du langage et de son information idéologique que s’enracine la « pensée straight ». En effet, « la catégorie de sexe […] force chaque locuteur s’il en est une à proclamer son sexe physique (sociologique) c’est-à-dire apparaît dans le langage représenté sous une forme concrète et non sous la forme abstraite [que] la généralisation nécessite, celle que tout locuteur masculin a le droit inquestionnable d’utiliser. La forme abstraite, le général, l’universel, c’est bien ce que le prétendu genre masculin grammatical veut dire. »

Le féminin est toujours marqué, signalé, indiqué par rapport à un référent prétendument universel, mais qui est en fait construit de telle sorte qu’il coïncide avec le masculin. Romancière autant que penseuse, inséparablement, Wittig, qui soulignait combien « chacun de nous est la somme des transformations effectuées par les mots », n’a jamais cessé de faire travailler le langage contre ses logiques sous-jacentes, de le désarticuler, de le déstabiliser. L’écriture peut devenir un « espace de liberté » et un « cheval de Troie » contre l’idéologie du sexe. Dans son premier roman, L’Opoponax (Minuit, 1964), Wittig utilise de manière récurrente le pronom épicène « on » plutôt que « il » ou « elle » : « Avec ce pronom qui n’a ni genre ni nombre je pouvais situer les caractères du roman en dehors de la division sociale des sexes et l’annuler pendant la durée du livre. » Dans Les Guérillères (Minuit, 1969), la répétition du « elles » conduit à un décentrement du langage qui fait paraître le « ils » final pour ce qu’il est : non un « neutre qui échapperait au sexuel », mais bien un terme marqué.

 

« Les lesbiennes ne sont pas des femmes »

C’est peut-être la citation la plus connue – et discutée aujourd’hui – de Monique Wittig, qui en assumait la radicalité. Elle se rattache à la question suivante : comment s’y prendre pour universaliser l’universel ? L’objectif final est clairement énoncé par Wittig : « Cela ne peut s’accomplir que par la destruction de l’hétérosexualité. […] Nous devons la détruire et commencer à penser au-delà d’elle si nous voulons commencer à penser vraiment, de la même manière que nous devons détruire les sexes en tant que réalités sociologiques si nous voulons commencer à exister. »

Mais comment donc s’y prendre ? Pour Wittig, il faut faire sécession – par le lesbianisme. « Le lesbianisme pour le moment nous fournit la seule forme sociale dans laquelle nous puissions vivre libres. » Pendant des siècles d’histoire, « l’hétérosexualité allait tellement de soi qu’elle n’avait pas de nom. C’était la norme sociale. C’est un contrat social. C’est un régime politique. Une institution qui n’a pas d’existence juridique. » Le choix politique de l’homosexualité, sa revendication, contraint le régime de domination hétéronormée à dire son nom. Nommée, l’hétérosexualité peut être mise en question, contestée. Cette politisation est décisive « pour devenir une classe, pour avoir une conscience de classe » en lutte contre une autre qui l’opprime. Le lesbianisme n’est pas seulement un opérateur de prise de conscience : il constitue déjà, dans les faits, une sortie hors du régime de l’hétérosexualité.

« “Lesbianisme” est le seul concept que je connaisse qui soit au-delà des catégories de sexe (femme et homme) parce que le sujet désigné (lesbienne) N’EST PAS une femme, ni économiquement, ni politiquement, ni idéologiquement. En effet, ce qui fait une femme c’est une relation sociale particulière à un homme, relation que nous avons autrefois appelée de servage, relation qui implique des obligations personnelles et physiques aussi bien que des obligations économiques (“assignation à résidence”, corvée domestique, devoir conjugal, production d’enfants illimitée, etc.), relation à laquelle les lesbiennes échappent en refusant de devenir ou de rester hétérosexuelles. » 

La lesbienne ouvre un horizon essentiel pour la « destruction » de l’universel dévoyé. « Être lesbienne, se tenir aux avant-postes de l’humain ou de l’humanité représente historiquement et paradoxalement le point de vue le plus humain », parce qu’il est libéré du sexe. Pour Monique Wittig, refuser l’hétérosexualité comme régime sociopolitique ne signifie pas nécessairement refuser toutes les relations entre ce que le système hétéronormé considère comme homme et femme. Le lesbianisme est d’abord un opérateur de lutte, pas un projet de société. L’horizon, c’est une société où la question de la nature homosexuelle ou hétérosexuelle de la relation n’a aucune pertinence, où les relations sont des questions d’individu à individu. La lesbienne est avant tout un sujet singulier, un « j/e » (Le Corps lesbien, Minuit, 1973) insaisissable, rétif aux assignations, dont le désir peut s’affranchir des normes.

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