Passions tristes

Catherine Portevin publié le 2 min

Le pessimisme et la nostalgie sont suspects : de ralentir le progrès, de cultiver l’impuissance, de refuser le monde tel qu’il est, de dé­sespérer Billancourt, d’alimenter les mouvements réactionnaires… Les époques de crise les rejetant d’autant plus que les discours de crise les font prospérer, la parution simultanée de deux livres sur ces « passions tristes » semble surannée au milieu des nombreuses publications philosophiques sur la joie, le bonheur, la vie, la beauté… C’est donc avec l’attention que l’on doit aux grands malades que l’on a ouvert Du pessimisme, de Jean-Marie Paul (Encre marine), et La Nostalgie, de Barbara Cassin (Autrement). Les deux sont en général décrits comme maladies du temps : le pessimiste voit l’avenir en noir, le nostalgique le passé en rose, l’un n’excluant pas l’autre ; les deux recèlent leur part d’illusion mortifère. L’intérêt du pessimisme est d’avoir eu à son actif de grands talents : Scho­pen­hauer, Kierkegaard, Dos­to­ï­evski, Goethe, Thomas Bernhardt, Hork­heimer, Baudelaire, Flaubert, Péguy… Jean-Marie Paul, tout en marquant ses distances, retrace parfaitement cette histoire des idées qui s’ancre dans le XIXe siècle européen. Avec Barbara Cassin, la nostalgie prend de nouvelles couleurs : en philologue, elle s’appuie sur l’aventure du mot (du grec nostos, le « retour ») pour déplacer cette douleur du retour impossible – l’Odyssée étant le récit fondateur – du temps à l’espace. La nostalgie est ainsi recherche infinie d’un « chez soi » perdu, douleur de l’exilé, qui trouve son juste lieu dans la langue maternelle. Le pessimiste, dès lors, ne serait peut-être pas tant un déplacé dans son temps qu’un angoissé du lieu. Ne sachant plus où il habite, c’est tout le réel qui lui échappe. Un réel ni rose ni noir : juste là.

Expresso : les parcours interactifs
Comment résister à la paraphrase ?
« Éviter la paraphrase » : combien de fois avez-vous lu ou entendu cette phrase en cours de philo ? Sauf que ça ne s’improvise pas : encore faut-il apprendre à la reconnaître, à comprendre pourquoi elle apparaît et comment y résister ! 
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