Pourquoi l’on se dispute pendant les repas de famille (et comment y remédier)

Loi immigration, conflit au Proche-Orient, affaire Depardieu… Les raisons de s’écharper n’ont jamais été aussi nombreuses. Pourquoi les périodes festives sont-elles si propices à la dispute ? Qu’est-ce qui, dans le repas de famille, fait obstacle à la possibilité même d’une « trêve de noël » ? Réponse avec Erving Goffman, Pierre Bourdieu, Hannah Arendt et Norbert Elias.

Avec, en cadeau, quelques conseils pour affronter les fêtes.

« Ils en ont parlé. » Le célèbre dessin de presse Un dîner en famille, réalisé en 1898 par le dessinateur Caran d’Ache à propos de l’affaire Dreyfus, n’a pas perdu de son actualité. Le repas de famille, censé être un lieu de détente et de convivialité, se change parfois en arène violente et impitoyable. Mais pourquoi ? Qu’est-ce qui, dans le repas de famille, a tendance à mettre le feu aux poudres et à échauffer les esprits ?

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Pour répondre à cette question, plongeons-nous d’abord dans ce qu’est vraiment un repas de famille : une scène de théâtre. C’est cette lecture du monde comme une immense représentation théâtrale que propose le sociologue américano-canadien Erving Goffman (1922-1982), dans son livre La Mise en scène de la vie quotidienne. Dans la cuisine de cette pièce de théâtre, on trouve ce que le sociologue appelle « les coulisses ». Le repas s’y prépare, quelques médisances s’y chuchotent déjà, couvertes par un grand vacarme de vaisselle et de plats en train de mijoter. Les hôtes font en quelque sorte « monter la sauce » : ils préparent le terrain des potentielles exaspérations à venir et des sujets à ne pas aborder. Cette préparation, avant l’arrivée des invités, est une « répétition générale ». Les hôtes zélés font inconsciemment monter la pression.

Dans la salle à manger, il y a « le lieu de la représentation » : la scène, l’endroit où se dérouleront les discussions, les débats et les potentielles disputes. Là aussi, les choses sont plus ou moins prévues. Un plan de table vise à anticiper les voisinages incompatibles. La décoration sert à rappeler le contexte : l’esprit de Noël, la fête, la fin des soucis, le confort d’un repas partagé. À première vue, tout semble fait pour éviter le drame.

Rater son rôle

Mais le lien entre un repas de famille et une scène de théâtre ne s’arrête pas au décor et à la mise en scène. Les différents membres du repas de famille sont eux aussi des acteurs. Ils ont prévu leur rôle, ils ont soigné leur préparation. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le repas de famille n’est pas terrain spontané, où chacun peut se permettre d’être « soi-même ». Il est au contraire un lieu ritualisé dans lequel un « individu joue un rôle » et « demande implicitement à ses observateurs de prendre au sérieux l’impression qui leur est donnée ». Cela ne veut pas dire que tout le monde ment et que tout est factice. Il s’agit plutôt d’aiguiser, d’éclairer, de faire saillir une certaine dimension de sa personnalité : de donner à voir ce que l’on veut montrer de soi aux autres.