2. Minorités engagées contre majorité passive ?

Quand la France périphérique se rebiffe

Christophe Guilluy, propos recueillis par Marion Lemoine publié le 6 min

Dans un nouvel essai rageur, “Le Crépuscule de la France d’en haut”, le géographe Christophe Guilluy prolonge ses thèses sur la fracture hexagonale entre métropoles et territoires “périphériques” que la représentation politique ignore. Au risque d’une jacquerie ?

En quoi la crise de la démocratie française est-elle liée à la recomposition des territoires depuis trente ans ?

Christophe Guilluy : Cela tient à un fait central : les classes modestes – ouvriers, employés, salariés de la petite fonction publique, tous ceux qui gagnent en dessous du revenu médian et qui sont majoritaires – ne vivent plus là où se crée la richesse. Avant, la classe ouvrière était localisée à proximité des centres industriels et urbains, au cœur de l’appareil productif. Elle n’en bénéficiait pas pleinement, mais elle était intégrée au système économique et, via son appartenance aux grands partis de classe, tel le parti communiste, elle était intégrée à la société. Cela n’empêchait pas un conflit de classe virulent, mais il était régulé et mis en scène au sein de la démocratie. Ce schéma a éclaté avec l’adoption du nouveau modèle de l’économie libérale mondialisée. Au départ, il est apparu comme un projet rationnel : on allait réorganiser la division du travail à l’échelle internationale en délocalisant l’emploi industriel mais en faisant basculer les ouvriers d’ici vers le secteur tertiaire, plus qualifié. Tout le monde y a cru. Sauf qu’aujourd’hui, on a un modèle économique qui marche du feu de dieu, avec une courbe du PIB [produit intérieur brut] qui ne cesse d’augmenter, mais la création de richesses se concentre dans les grands centres urbains et concerne les classes supérieures, tandis que les classes modestes ont été poussées en dehors et sont confrontées au chômage et/ou à la précarité. Dans les grandes villes, on a une situation très clivée entre des emplois très qualifiés et bien rémunérés et, à la marge, des emplois précaires et mal rémunérés occupés par des travailleurs immigrés qui vivent plutôt en banlieue dans les logements sociaux. Le reste du territoire est ce que j’appelle « la France périphérique », celle des petites villes, des villes moyennes et des territoires ruraux où vit désormais 60 % de la population. C’est un modèle économique qui marche mais qui ne fait plus société et qui défait le tissu des territoires.

Expresso : les parcours interactifs
Comment résister à la paraphrase ?
« Éviter la paraphrase » : combien de fois avez-vous lu ou entendu cette phrase en cours de philo ? Sauf que ça ne s’improvise pas : encore faut-il apprendre à la reconnaître, à comprendre pourquoi elle apparaît et comment y résister ! 
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