Qu’est-ce que le corps ?…
De Platon à Baudrillard, les philosophes occidentaux ont donné les réponses les plus contradictoires à cette épineuse question.
… Un tombeau
Platon (v. 428 – v. 347 av. J.-C.)
«Une “chose insensée” qui fait de l’ombre au soleil de l’intelligible»
Socrate va mourir. La ciguë l’attend. Platon raconte la scène dans le Phédon : serein, son maître discute, argumente. La mort n’est pas à craindre : elle n’est que « la séparation de l’âme avec le corps » – une délivrance. Dans trois autres dialogues (le Gorgias, le Cratyle et le Phèdre), Platon mobilise une image d’origine pythagoricienne : le corps (sôma) est un tombeau (sêma) ou la prison de l’âme immortelle qui l’anime. Suscitant « tumulte et confusion », le corps nous détourne de ce qui compte : le raisonnement, le dialogue de l’âme avec elle-même, la connaissance de ce qui est par l’intellect. Le corps, cette « chose insensée », nous enchaîne dans la caverne du sensible ; il fait de l’ombre au soleil de l’intelligible. Platon développerait-il une conception méprisante du corps ? Loin s’en faut. Car pour lui, le corps est aussi une promesse de lumière. Dans le Banquet, l’enjeu est de savoir passer de la vision d’un beau corps en particulier (Alcibiade, ses pectoraux impeccables…) à la contemplation de « la beauté en soi ». Tremplin possible vers l’intelligible, le corps l’est également en ce qu’il est un signe (en grec… sêma), un miroir qui reflète la qualité morale d’un individu. Il s’agit donc de l’exercer, de le maîtriser. Dans la République, l’éducation des gardiens – futurs rois-philosophes de la Cité – comprend des exercices de gymnastique et un régime alimentaire strict. Non pas tant pour développer la « vigueur physique » que pour fortifier « l’ardeur morale ». Athlètes du Bien, les gardiens cultivent leur corps pour savoir s’en détacher. Pour apprendre à mourir, tel Socrate – le corps le plus laid, la plus belle des âmes.
… Une planche de salut
Saint Paul (v. 5-15 – v. 62-64)
«Le désir de la chair, c’est la mort»
Épître aux Romains
Nous sommes sur l’Aréopage, une colline au sud d’Athènes. Paul, converti sur le chemin de Damas, expose sa doctrine devant des épicuriens et stoïciens grecs. À la fin, il affirme que Dieu a ressuscité le Christ. Tollé général… Cet épisode, relaté dans les Actes des apôtres, montre le point de basculement que représente le christianisme. Pour les Grecs, l’idée d’une résurrection du corps est absurde – le corps tombe en poussière à la mort, seule l’âme est susceptible de survivre après elle –, alors que c’est cela que le christianisme avance : le corps, et non l’âme, peut ressusciter. Il est le lieu même où se décide notre perte ou notre salut. Pour souligner cette ambivalence, Paul forge la notion de chair, qui désigne le « corps de péché ». La chair nomme le corps tourné vers les plaisirs humains, trop humains (l’ivrognerie, le dérèglement des sens…), mais aussi vers les passions mauvaises de l’âme (la haine, l’idolâtrie…). Bref, « le désir de la chair, c’est la mort » (Épître aux Romains). Or, selon Paul, il est possible de s’arracher à ce corps-chair à la destination fatale. Car il est aussi le « temple de l’Esprit » (Première Épître aux Corinthiens), la demeure de Dieu en nous. L’Incarnation témoigne de la dialectique chrétienne : le Christ s’est fait chair, il a endossé notre condition de pécheur pour mieux la nier et triompher de la mort. À son image, clame Paul, cessons de vivre notre corps selon la chair et convertissons-le à l’esprit, son glorieux antonyme. Les croyants qui rejoignent l’Église – elle-même assimilée à un corps dont le Christ est la Tête (Épître aux Colossiens) – ressusciteront à la fin des temps. « Semé corps animal, on ressuscite corps spirituel », incorruptible, éternel. Mais un corps spirituel, cela reste un corps.
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