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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Art roman : à Zillis (Suisse), détail du plafond de l’église Saint-Martin représentant un animal marin fabuleux. Peinture sur panneau de bois, v. 1109-1114. © Interfoto/La Collection

Généalogie d’une notion

Qu’est-ce qu’un monstre ?

Joséphine Robert publié le 23 mai 2022 3 min

Créature fantastique, chimère légendaire ou bête imaginaire, qu’est-ce qu’un monstre, au juste ? Quatre penseurs bravent la peur pour faire face à cet être mystérieux.

Un produit du hasard, pour Empédocle (v. 490 av. J.-C.)

Dans ses Fragments, Empédocle décrit l’apparition des monstres sur la terre : « Naquirent de nombreuses têtes privées de cou et des bras erraient séparés du tronc, sans épaules, et des yeux allaient ici et là privés de front. Des membres erraient solitaires. » Puis, les organes se sont assemblés, et c’est là que les monstres ont fait leur apparition : « De nombreuses créatures virent le jour avec un visage et une poitrine des deux côtés. Des bovins à figure humaine émergèrent, et inversement. » Le philosophe présocratique s’oppose à l’image prévoyante de la nature : cette dernière est aléatoire, donc elle est forcément créatrice d’êtres monstrueux. Selon lui, le monstre est la règle et l’animal est l’exception. Dans l’état naturel, le hasard gouverne. L’être parfait est ainsi improbable. L’univers et ceux qui l’habitent naissent d’un assemblage contingent. Serions-nous tous de monstrueux vivants survenus du hasard ?

Un être inachevé, pour Aristote (384 av. J.-C.)

Le monstre est une erreur. C’est un être qui demeure éternellement indéterminé car inachevé : il n’est pas parvenu à actualiser sa forme. Le monstre n’est pas fini, alors il est imprévisible. « Les monstres sont des erreurs de ce qui advient en vue d’une fin », écrit le grand penseur de l’Antiquité dans sa Physique. Ces créatures sont aussi rares qu’imprévisibles, elles ne relèvent pas de la norme. Impacté par des causes extérieures mystérieuses, le monstre ne correspond pas à ce qui arrive la plupart du temps, c’est à dire la création de l’être humain ou d’un animal harmonieux. Parce qu’il relève de l’inaccoutumé, le monstre « contrarie l’ordre établi ». Selon Aristote, la créature constitue donc un écart indécent, et comme la nature ne fait rien en vain, c’est un état définitif. Monstre un jour, monstre toujours !

Un être inexistant, pour Montaigne

C’est seulement dans le regard de l’homme que le monstre existe. Dans ses Essais, le philosophe de la Renaissance décrit sa rencontre avec un enfant « difforme » : « Ses cris semblaient bien avoir quelque chose de particulier […] au-dessus de ses tétins, il était attaché et collé à un autre enfant sans tête ». Il s’interroge alors sur la notion de monstruosité, un terme qu’il remet aussitôt en question : « Ce que l’homme voit fréquemment ne l’étonne pas, même s’il en ignore la cause. Mais si ce qu’il n’a jamais vu arrive, il pense que c’est un prodige. Nous appelons “contre nature” ce qui arrive contrairement à l’habitude : il n’y a rien, quoi que ce puisse être, qui ne soit pas selon la nature. Que cette raison universelle et naturelle chasse de nous l’erreur et l’étonnement que la nouveauté nous apporte, l’apparition du monstre relève d’un manque de raison et d’expérience. » Pour Montaigne, il s’agit de dépasser nos aprioris, notre jugement dogmatique, pour voir à travers le monstre. L’inconnu, dès lors qu’il devient ordinaire, perds ses traits effroyables. Les monstres n’existent pas, mais la peur de l’inconnu, elle, est bien réelle.

Une créature sans voix, pour Paul B. Preciado

Le monstre ne parle pas, car l’on parle à sa place. Pour le philosophe queer et trans Paul B. Preciado, ceux qui détiennent d’habitude la parole sont ceux qui définissent les êtres monstrueux. Dans Je suis un monstre qui vous parle (Grasset, 2020), il décrit sa propre identité monstrueuse, construite au travers des discours et pratiques cliniques : « On m’avait assigné le sexe féminin, et comme le singe mutant, je me suis extirpé de cette cage étriquée, certes pour entrer dans une autre cage, mais au moins cette fois-ci de ma propre initiative. Je vous parle aujourd’hui depuis cette cage choisie et redessinée de “l’homme trans”, du corps de genre non binaire. » Preciado s’attaque au « fanatisme de la différence sexuelle » qui repose sur un régime binaire : l’homme et la femme. Le monstre résiderait au-delà de ces catégories de sexes renforcées, selon lui, par le discours discriminatoire psychanalytique. « Et cette catégorie de l’autre, n’est-elle pas d’autant plus problématique si cet autre se voit attribuer les caractéristiques d’un monstre, à savoir un non-humain, un autre qu’humain ? » Réduits au silence, les monstres deviennent ici révélateurs d’un rapport de soumission et de domination.

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