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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Divergences

“Red flags” : peut-on être trop prudent en amour ?

Yasmine Khiat publié le 30 novembre 2023 5 min

Les drapeaux rouges sont de sortie ! Empruntée à l’anglais, l’expression « red flag » gagne en popularité pour dénoncer des comportements présumés « toxiques », en particulier concernant les relations sentimentales. Mais n’y a-t-il pas un risque, paradoxalement, à trop vouloir se protéger ? Quatre philosophes hissent le drapeau pour nous aider à naviguer amoureusement.


Aristote : la prudence est une vertu cardinale

Se montrer prudent ne veut pas dire être timoré ni lâche. Au contraire, pour Aristote, la prudence est mère de toutes les vertus, comme il l’énonce au livre IX de l’Éthique à Nicomaque. Du grec phronesis (φρόνησις), la prudence qualifie une manière mesurée de vivre et de se conduire qui aide à éviter le pire et garantit une existence heureuse. Elle permet de vaincre les mauvaises habitudes, les éclats de passion et même les excès de vertu. « Le propre de la prudence est la capacité de bien délibérer sur ce qui et bon et utile […] en fonction du bien vivre », écrit Aristote. Le phronimos (φρόνιμος), l’homme prudent, maîtrise l’art de bien faire, de prendre le temps de considérer les situations, d’en soupeser les tenants et les aboutissants et de chercher les actions permettant d’agir pour son propre bien. Appliquée au domaine amoureux, la prudence est une vertu intellectuelle, qui peut protéger d’un mauvais choix de partenaire puisqu’elle suppose une évaluation de ses propres aptitudes et désirs. Dans cette optique, l’on pourrait alors considérer que l’individu prudent prompt à déceler un « red flag » dans le comportement d’un (potentiel) partenaire amoureux tend vers une juste compréhension de soi et des circonstances extérieures, ainsi que vers la meilleure manière d’articuler les deux.

Nietzsche : trop de prudence diminue notre vitalité

Mais qui dit prudence dit également évitement complet des risques. Est-ce vraiment le type d’existence que nous souhaitons mener ? Pas pour Friedrich Nietzsche ! À force de vouloir tout contrôler sans spontanéité, nous mettons en danger notre joie de vivre. Dans Ainsi parlait Zarathroustra (1883-85), le philosophe met en garde : « Qu’il faille que je sois sans prudence, c’est là la providence qui est au-dessus de ma destinée. » À suivre la logique nietzschéenne, les red flags apparaissent comme des principes moraux dissimulant en réalité des préjugés liés à des instincts de crainte. La prudence devient une façon assez dérisoire de se croire inattaquable moralement, quand bien même nos actions seraient sans force ni panache : « Cette prudence de qualité très inférieure que possède même l’insecte (qui, en cas de grand danger, fait le mort, pour ne rien faire de trop), grâce à ce faux monnayage, à cette impuissance duperie de soi, a pris les dehors pompeux de la vertu qui sait attendre, qui renonce et qui se tait » (Généalogie de la morale, 1887). Vite brandis face à tout comportement qui peut renforcer nos préjugés sur les travers (présumés) de l’autre, conduisant potentiellement à des sur-interprétations, des logiques victimaires et des analogies abusives entre partenaires passés et actuels… les red flags seraient-ils teintés d’un soupçon d’autosatisfaction, voire d’hypocrisie ?

Bergson : laisser la place à la nouveauté absolue

Entretenir un rapport prudent au monde met en lumière une question plus métaphysique : à quel point de l’inattendu peut-il arriver dans la vie ? Celui qui utilise la rhétorique du red flag part du principe que certains affects et comportements sont figés et ne peuvent laisser de place à la surprise, comme si les êtres humains étaient une fois pour toutes enfermés dans une certaine identité – comme si, également, nous étions incapables de changer nous-mêmes. Or, dirait sans doute Henri Bergson, on ne peut sans cesse envisager notre relation aux autres en fonction de nos expériences passées. Le propre de la nouveauté, c’est d’être inimaginable, non calculable, parfaitement imprévisible. Dans sa conférence Le Possible et le Réel (1920), le philosophe dénonce l’image que nous pouvons avoir du futur, de l’avenir, comme d’une « armoire aux possibles » dont l’homme posséderait déjà « la clef » ; le red flag correspond d’une certaine manière à cette métaphore de la clef qui permettrait à coup sûr de savoir à l’avance si un individu s’avèrera bénéfique ou nocif pour nous. Une illusion, pour Bergson. En effet, sans la rencontre directe avec l’altérité, sans l’ouverture radicale au possible, il n’est pas moyen d’en avoir la certitude. L’avenir n’est jamais écrit à l’avance, même s’il est parfois plus rassurant de le croire.

Clotilde Leguil : l’imprudence expose à la toxicité

Toutefois, sortir son drapeau rouge avant même d’avoir fait une expérience amoureuse est peut-être une façon de se prémunir contre une forme de danger qui n’a pas l’air néfaste en apparence, mais infuse petit à petit et finit par diminuer notre puissance d’agir. Ce danger correspond à ce que la philosophe et psychanalyste Clotilde Leguil nomme « le toxique », dans son livre L’Ère du toxique. Essai sur le nouveau malaise dans la civilisation (PUF, 2022). Le toxique, du grec toxikon (τοξικόν), désigne « le poison dont on imprègne une flèche » qui se propage brutalement dans le corps. On a beau être prudent, il est parfois difficile d’éviter ces flèches. C’est bien le propre du poison : on ne peut pas le déceler à l’avance, il est souvent dissimulé, difficilement perceptible à l’œil nu – et parfois, l’on prend conscience du piège uniquement lorsqu’il est trop tard et que le mal est déjà fait et s’est insinué en nous. « Le voyage du toxique c’est le voyage de cette flèche empoisonnée qui vient de l’autre et blesse la chair. » C’est seulement après coup, après un long processus de désintoxication, que l’individu en rémission repère les red flags révélateurs des périls amoureux à venir. Ces signaux d’alerte deviennent alors des sortes d’antidotes mentaux, qui évitent de s’exposer à une forme de toxicité relationnelle d’apparence banale ou anodine, mais dont il est souvent bien difficile de se remettre.

 

En bref, la prudence en amour est plus qu’un simple regard attentif sur le comportement de l’autre. Si elle est une indispensable vertu intellectuelle (Aristote), il faut aussi apprendre à s’en libérer et prendre des risques (Nietzsche), car accueillir la nouveauté dans notre vie est une possibilité (Bergson) et que malheureusement, dans des cas extrêmes, la prudence ne résiste pas toujours face aux relations que l’on qualifie aujourd’hui de « toxiques » (Leguil). À l’image du red flag, la prudence dépend toujours de la connaissance que l’on a de soi et témoignage d’un réel besoin de développer des outils moraux pour se protéger en amour ou se constituer en tant que son propre gardien. Le tout est peut-être de savoir bien doser !

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