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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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© Audoin Desforges pour Philosophie Magazine.

Entretien

Renaud Barbaras : “Le désir vise le monde lui-même”

Renaud Barbaras, propos recueillis par Octave Larmagnac-Matheron publié le 25 mars 2021 16 min

Ce professeur à la Sorbonne est l’une des grandes voix de la phénoménologie. Rencontre avec un philosophe pour qui la métaphysique, loin d’être abstraite et aride, est vivante et poétique, car faisant appel à nos sentiments les plus profonds. 

 

Renaud Barbaras : drôle de nom pour un professeur d’université. Qu’y a-t-il de barbare dans le travail d’un philosophe – qui plus est d’un métaphysicien assumé, qui manie les concepts les plus techniques avec une indéniable virtuosité ? Peut-être faut-il revenir au sens premier du mot : le barbare, c’est l’étranger, celui qui ne parle pas la même langue. Les hasards de la généalogie, alors, s’éclairent. Car étranger, Barbaras l’a été une bonne partie de sa formation. À l’École normale supérieure de Saint-Cloud, notamment. Dans les années 1970, le marxisme et la philosophie des sciences y règnent sans partage ; lui s’intéresse déjà à la phénoménologie – ce courant de pensée proposant de revenir « aux choses mêmes » fondé au tournant du XXe siècle par Edmund Husserl et qui exerça une grande influence après guerre parmi les existentialistes français, avant d’être supplanté par d’autres approches. Si Barbaras entame une thèse sur la métaphysique de Leibniz sous la pression ambiante, il revient cependant bientôt à Merleau-Ponty, au corps, à la perception. Sans abandonner toutefois la métaphysique, et c’est peut-être en cet autre sens qu’il y a chez lui quelque chose de barbare : Renaud Barbaras est un étranger métaphysique. Toute son œuvre travaille en effet, sans relâche, cette intuition fondamentale : notre irrémédiable séparation à l’égard d’un monde qui ne parle pas notre langage mais qui est pourtant notre source, notre origine. Sentiment aussi intime qu’universel d’une déchirure originaire qui confère aux sommets spéculatifs qu’arpente le philosophe une coloration affective singulière. Le système patiemment édifié par Barbaras n’est ni aride, ni impersonnel, ni statique : il est, tout au contraire, vivant, poétique et émouvant – du latin movere, « se mouvoir ». Mouvement du désir, en premier lieu, car le désir nous porte, toujours, vers le monde dont nous sommes séparés. Là encore, l’étymologie ne s’y trompe pas, quoique le désir cache bien son lien avec les sidera, les « étoiles ». Le tour de force de Barbaras consiste ainsi à lier le plus intime et le plus lointain, la vie individuelle et son appartenance cosmique. 

 

Renaud Barbaras en 8 dates
1955 Naît à Paris
1976 Entre à l’École normale supérieure de Saint-Cloud
1979 Agrégation de philosophie
1990 Doctorat de philosophie
1991 Maître de conférences à l’université Paris-4-Sorbonne
2002 Professeur à l’université Paris-1-Panthéon-Sorbonne
2010 Intègre l’Institut universitaire de France
2014 Grand prix de philosophie de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre

 

Comment en vient-on à faire de la philosophie ? S’agissait-il d’une vocation ?

Renaud Barbaras : J’ai baigné assez jeune dans une atmosphère où la philosophie était présente, car ma mère en avait fait et me parlait des cours de Bachelard à la Sorbonne et de ceux de Merleau-Ponty au Collège de France. Mais c’est en terminale que j’ai vraiment découvert la philosophie et commencé à en lire – Kierkegaard, Heidegger (auquel je ne comprenais rien) et Merleau-Ponty, auquel j’ai finalement consacré ma thèse. On peut parler de vocation, oui : mon intérêt a été immédiat et j’ai rapidement décidé de m’y consacrer.

 

L’une de vos thèses les plus faciles à comprendre, et en même temps des plus étonnantes, c’est que, dans le désir, y compris amoureux, nous désirons toujours le monde. Pouvez-vous expliquer ?

Contrairement au besoin, qui est un manque temporaire s’éteignant lorsqu’il est satisfait, le désir n’est pas comblé par le désiré. Au contraire, il est creusé, exacerbé par ce qui le satisfait, il est insatiable. Non qu’il ne puisse être satisfait, mais cette satisfaction produit son intensification. Dès lors, si rien, dans le monde, ne peut le combler, c’est parce que ce n’est pas un étant [terme technique désignant ce qui est, de la pierre à la plante en passant par un livre, un verre, un grain de sable] du monde qu’il vise mais le monde même. Le désir concret qui nous porte vers tel ou tel étant est toujours une modalité de ce désir plus fondamental. C’est le cas du désir amoureux. Proust le montre parfaitement : ce que je désire chez l’autre, c’est son monde, c’est l’ouverture au monde qu’il rend possible, comme si le monde se figurait en un point de lui-même. Autrui est alors un intercesseur privilégié. Il faut ajouter que le désir s’avance vers le monde, mais aussi vers soi, car le monde est notre origine : tout désir est désir de soi. Le désir est la seule manière de se rapporter à cette totalité intotalisable qu’est le monde. Nous découvrons le monde dans le désir.

 

Nous vivons donc continuellement dans le désir ?

Je ne me représente pas d’abord l’objet du désir avant de le désirer : la découverte de l’objet du désir s’effectue dans le désir même. Mais il faut généraliser : tout objet se dévoile à la faveur d’un mouvement de cette nature, d’une avancée qui éclaire son terme, d’une « force voyante », comme le dit Jan Patočka [phénoménologue tchèque, 1907-1977]. La perception n’est pas statique mais dynamique et désirante ; tout faire paraître est d’abord un faire.

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