Romain Roszak : “La pornographie est une pièce maîtresse du capitalisme actuel”
Parmi le panel de raisons invoquées pour expliquer la baisse globale de l’activité sexuelle, le rapport de plus en plus massif à la pornographie revient souvent. Mais de quoi parle-t-on exactement ? Quel est le véritable pouvoir de ces images et à quelle logique répondent-elles ? Nous avons interrogé le philosophe Romain Roszak, auteur de La Séduction pornographique (L’Échappée, 2021), pour le comprendre.
De récents rapports et sondages montrent que la sexualité diminue partout et chez tout le monde, notamment chez les jeunes. La pornographie pourrait faire partie des raisons. Qu’en pensez-vous ?
Romain Roszak : Il serait un peu naïf de croire que la pornographie n’a rien à voir dans cette baisse tendancielle de la sexualité, ne serait-ce que parce que ceux qui la promeuvent n’ont pas intérêt à ce qu’on arrive à faire l’amour nous-mêmes. Avoir des relations sexuelles avec autrui ne crée pas de valeur, et les industriels de la pornographie se doivent de nous exproprier de nos propres corps et de nos propres désirs pour nous vendre des stimulations extérieures dont nous aurions prétendument besoin. Un pas a été franchi en ce sens durant les confinements, avec une surconsommation pornographique accompagnée d’opérations de communication fortes des plateformes qui ont joué la connivence avec les usagers. Ce fut un moment durant lequel beaucoup de personnes ont pris conscience de la facilité caractéristique de cette dimension de la vie affective et sexuelle dans laquelle il n’y a par définition pas de refus, pas d’engagement, quelque chose de finalement très « cocon ».
“Avoir des relations sexuelles avec autrui ne crée pas de valeur, et les industriels de la pornographie se doivent de nous vendre des stimulations extérieures dont nous aurions prétendument besoin”
De quoi parle-t-on, d’ailleurs ? Qu’est-ce que la pornographie ?
Cette question a historiquement été plutôt prise en charge par ses contempteurs, ce qui rend l’affaire délicate. Car vouloir condamner la pornographie amène à mobiliser un certain nombre de critères, notamment de degrés de monstration ou d’équivoque, qui se révèlent souvent arbitraires et difficiles à justifier en dernière instance. On peut penser, dans cette perspective, aux critères un peu absurdes posés par le CSA pour différencier les films interdits aux moins de 16 ans et ceux interdits aux moins de 18 ans, avec les nombres de coïts montrés, le sexe masculin en repos ou en érection, ou la manière de montrer le sexe féminin… De ce point de vue, le philosophe Ruwen Ogien, l’auteur de Penser la pornographie (2003), a eu raison de dire qu’on a là une totale subjectivité et qu’à vingt ou trente ans d’écart, on peut fort bien trouver assez pudibondes les générations passées. L’autre difficulté, c’est la relation à l’œuvre d’art et les représentations du nu et de la sexualité dans la peinture, la photographie ou les performances plastiques ou vidéo. Relèvent-elles de la pornographie ? De l’érotisme ? D’autre chose encore ?
Il n’est pas facile de déterminer où elle commence et où elle s’arrête…
Il est compliqué de distinguer la pornographie de l’érotisme, mais on ne saurait en faire un argument pour dire que la pornographie n’est rien de plus, selon le mot attribué à Alain Robbe-Grillet, que « l’érotisme des autres » et qu’elle n’est pas un problème. Je pense qu’il faut en réalité partir de ces difficultés définitionnelles justement pour montrer qu’on ne peut pas caractériser convenablement la pornographie tant qu’on ne retrace pas l’histoire de sa mise à disposition abondante sur le marché. Ce faisant, on arrive à rendre compte à la fois de ce qu’elle est – une collection d’images – mais aussi des dispositifs – de production et de consommation d’images de plus en plus individualisés – qui permettent d’y avoir accès. On parvient également à rendre compte des lois et du refus de légiférer qui caractérise les États occidentaux depuis les années 1970 sur le sujet, et enfin de tous les discours des prescripteurs visant à rendre cette consommation non plus honteuse mais acceptable et normale, et à en faire un gage de décontraction. Lorsqu’on retrace tout cela, on arrive à assigner à la pornographie sa finalité : prendre en charge le désir de ses spectateurs pour le faire fonctionner selon les besoins du capital – aussi bien au profit des industriels de la pornographie que des capitalistes en général.
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