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Svetlana Alexievitch en 2013 (cc) Wikimedia Commons / Hochgeladen von Elya

Svetlana Alexievitch : “J’écris l’histoire des âmes”

Michel Eltchaninoff publié le 23 octobre 2014 16 min

[Actualisation : Svetlana Alexievitch, lauréate du Prix Nobel de littérature en 2015] Régulièrement pressentie pour le prix Nobel de littérature, prix Médicis-Essai 2013, elle a donné voix à ceux qui, de la Seconde Guerre mondiale à Poutine en passant par Tchernobyl, ont été marqués dans leur chair par le pouvoir soviétique. C’est chez elle, en Biélorussie, que nous l’avons rencontrée, à l’heure où la nostalgie des régimes autoritaires ne s’est jamais mieux portée.

 

Il y a en Europe un drôle de pays où le temps s’est figé. À Minsk, capitale de la Biélorussie, les avenues presque désertes sont ornées de publicités officielles pour l’engrais ou le métal nationaux. Au supermarché Océan, on trouve toutes les conserves de poisson de l’époque soviétique. Et au « Magasin universel d’État », les bouteilles de ce champagne très sucré qui accompagnait chaque banquet en URSS côtoient le cognac arménien et la vodka russe – des produits exaltant la nostalgie qu’on ne trouve plus guère dans les rayonnages moscovites. Au-dessus de l’immense place stalinienne dédiée à la mémoire de la Seconde Guerre mondiale, des lettres géantes clament : « L’exploit du peuple est immortel. » Un peu plus loin, près du Parlement voilé de flots de neige, un camion cellulaire rappelle aux hypothétiques opposants que le pouvoir est toujours prêt à les recevoir. En m’éloignant du centre, je parviens à un quartier moins oppressant, qui domine une rivière. Il faut un bon moment pour trouver la bonne entrée dans la pharaonique barre d’immeubles où je rends visite au plus célèbre écrivain biélorusse. Svetlana Alexievitch, qui a manqué de peu l’an dernier le prix Nobel de littérature et qui a reçu le prix Médicis-Essai 2013 pour La Fin de l’homme rouge, y habite depuis des décennies, même si elle a dû, sous la pression du pouvoir, s’exiler plusieurs fois. Elle me reçoit dans un cocon écarlate décoré de bois tressé. Même si elle dit se sentir en sécurité, elle me révèle qu’on ne compte plus les voisins emprisonnés, qu’on ouvre son courrier et que ses communications sont sur écoute.

En sept dates

  • 1948 Naissance en Ukraine. La famille déménage bientôt en Biélorussie 
  • 1972 Études de journalisme à l’université de Minsk 
  • 1983 Publication dans la revue Octobre de La guerre n’a pas un visage de femme, qui connaît un immense retentissement dans toute l’URSS 
  • 1990 Parution des Cercueils de zinc, suivie d’un procès 
  • 2000 Départ, sous la pression du pouvoir, de Biélorussie et exil dans plusieurs pays européens 
  • 2013 Prix Médicis-Essai pour La Fin de l’homme rouge 
  • 2014 Publication, le 14 mars dans Le Monde, d’un article critique sur l’annexion de la Crimée par Poutine et sur l’hystérie nationaliste qui règne en Russie (« Poutine et les bas instincts »)

Je suis venu jusqu’à Minsk pour tenter de percer le mystère que s’obstine à décrire Svetlana Alexievitch dans ses stupéfiants « romans de voix », symphonies qui mêlent les témoignages les plus terribles et les plus intimes sur les tragédies du siècle soviétique : répressions staliniennes, Seconde Guerre mondiale, guerre d’Afghanistan, catastrophe de Tchernobyl, sanglants conflits postsoviétiques… Comment se fait-il que, malgré des souffrances inouïes, une telle nostalgie du communisme règne encore ? Comment s’imbriquent, dans l’histoire réelle, le bien et le mal ? Tandis que l’Ukraine voisine est en guerre, nous revenons longuement, autour d’un thé et de bonbons biélorusses, sur ce passé qui reste notre horizon.

 

Quelles sont les plus fortes impressions de votre enfance ?

Svetlana Alexievitch : Nous vivions à la campagne où mon père était directeur d’école et ma mère institutrice et bibliothécaire. Ils passaient leur temps au travail et je ne les voyais pour ainsi dire pas. Celle qui m’a ouvert tout un monde, c’est ma grand-mère. Chaque été, nous partions la voir en Ukraine. La Biélorussie est un pays de marais. Il y fait gris. L’atmosphère est plutôt maussade. Alors qu’en Ukraine, il y a des fleurs partout. La pauvreté règne, mais les maisons sont si belles et la nature embaume. Les poêles sont chauffés à la paille et dégagent un parfum extraordinaire. On cuit son pain soi-même… Cependant, au cœur de cette nature luxuriante, on croisait des invalides de guerre, des culs-de-jatte se traînant sur des planches à roulettes bricolées. Sur les marchés, ils demandaient la charité. Dans les trains, ils se rassemblaient pour chanter des chansons du front. C’était un drôle de tableau. Et sur ce fond, les paysannes parlaient, magnifiquement. Ma grand-mère me racontait comment mon grand-père l’avait enlevée pour l’épouser. Mais elle me peignait aussi le Holodomor, cette famine ordonnée par Staline en 1933 qui a décimé des millions de personnes. Ma grand-mère l’avait vécue et me racontait des choses atroces. Nous passions devant une maison du voisinage. Une vieille femme toute simple en sortait. Alors ma grand-mère se mettait, instinctivement, à chuchoter. Nous lui demandions pourquoi : parce qu’elle avait mangé ses enfants durant la famine, finissait-elle par avouer.

 

En Biélorussie, terre qui a énormément souffert durant la Seconde Guerre mondiale, on en parlait aussi ?

Oh oui ! mais plutôt à la campagne qu’à la ville, où l’on était plus prudent. Dès qu’il y avait un baptême ou un mariage, les anciens se mettaient à raconter la guerre. Comme il restait très peu d’hommes, on ne parlait guère du front. Les femmes évoquaient surtout la guerre des partisans contre les nazis. Or cette guerre était extrêmement cruelle. Les partisans soviétiques étaient des hommes affamés et épuisés qui se cachaient dans les bois. Soudain ils débarquaient dans un village et prenaient sa dernière vache au paysan. C’étaient des récits très durs et très forts. Je ne les ai jamais oubliés. Imaginez : les adultes sont réunis à la table. Nous, les enfants, courons autour. Parfois, on nous chasse et on nous dit d’aller nous mettre ailleurs. Mais j’essayais toujours d’écouter… Comme cette femme qui se cachait dans les marais, avec ses enfants, pour échapper aux nazis. Elle ne pouvait tous les nourrir. Ils risquaient de la faire repérer. Elle a dû en noyer deux.

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