Tombés des nus

Gustave Courbet est-il un socialiste modèle ? On le présente souvent comme le disciple de Pierre-Joseph Proudhon, penseur anarchiste du milieu du XIX^e siècle, né comme lui en Franche-Comté. Il est vrai que les deux hommes se sont bien connus à partir de 1848. C’est le peintre qui a présenté Charles Baudelaire au philosophe. Il a rendu visite à Proudhon en prison, lui a commandé un texte sur sa peinture, l’a bombardé de lettres, a fait de lui un portrait posthume, présenté à la rétrospective du Grand Palais. Cependant, l’artiste, qui a traversé son siècle en électron libre, qui a lui aussi connu la prison et participé activement à la Commune de Paris, ne peut être réduit à un « Proudhon de la peinture ». Courbet représente peu le prolétariat (Les Casseurs de pierre, Les Cribleuses de blé, L’Aumône à un mendiant) et préfère les sujets ruraux aux scènes urbaines (Les Pompiers demeurent l’exception). Mais c’est avec le nu que le malentendu entre les deux hommes se fait le plus criant. Les nus de Courbet sapent l’hypocrisie et la pruderie de son temps, à travers un érotisme corrosif et hédoniste. De son côté, Proudhon, profondément anticlérical, professait une vertu puritaine, faite de mièvreries bien-pensantes – de moraline pour reprendre le terme de Nietzsche. Trois toiles emblématiques montrent ces deux conceptions opposées.

Les Baigneuses (1853)

Cette toile illustre l’approche subversive du nu chez Courbet. Sur un sujet classique où la peinture académique imposait une idéalisation du modèle, il exécute une œuvre doublement transgressive. En premier lieu, il peint le personnage principal sans aucune concession au « beau » conventionnel. Horrifié, Jean-Étienne Delécluze, ancien élève du néoclassique David, écrit de cette femme : « Elle est si monstrueusement laide qu’elle ferait perdre l’appétit à un crocodile », traduisant ainsi l’incompréhension de la critique face au réalisme.