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“Un bon mot et tu as la vie sauve”

Ariane Nicolas publié le 30 juin 2023 3 min

« Face à une situation potentiellement mortelle, un bon mot peut-il nous sauver la vie ? Parallèlement, une parole bien ajustée peut-elle apaiser une situation critique ? Ce sont les questions que je me pose depuis le meurtre de Nahel, adolescent abattu à bout portant par un agent de police à Nanterre (92), et les émeutes qui ont suivi. Le blocage politique auquel nous sommes confrontés ne semble pas seulement provenir de la défiance mutuelle entre un pan de la société et les forces de police ; c’est comme si les mots, de part et d’autre, étaient devenus impuissants – et nous avec.

“Un bon mot et tu as la vie sauve.” Certains d’entre vous auront peut-être reconnu, dans le titre de cette lettre du jour, un dialogue extrait du film Ridicule, de Patrice Leconte (1996). Le baron Grégoire Ponceludon de Malavoy (Charles Berling) monte à Versailles plaider sa cause auprès du roi, dans le but de faire assécher les marais de la Dombes, trop insalubres. Ce petit noble de province est logé et conseillé par le marquis de Bellegarde (Jean Rochefort), dont les talents d’orateur ont longtemps brillé dans les salons. Pour approcher le souverain, une phase de séduction s’impose : il faut littéralement faire la cour, en montrant que l’on a de “l’esprit”, c’est-à-dire que l’on manie le verbe avec virtuosité. Petit à petit, l’aptitude au bon mot, à la “saillie drolatique”, envahit le héros jusqu’à l’obséder. Un matin, il se confie : “J’ai fait un rêve étrange, la nuit dernière. J’avais la tête sur le billot, et le bourreau me dit : ‘Un bon mot et tu as la vie sauve.’” À Versailles, en cette fin de XVIIIe siècle, les mots ont un pouvoir absolu. Une rhétorique défaillante peut vous coûter la vie – un personnage du film se suicide d’ailleurs, faute d’arriver à obtenir audience.

Je repense souvent à cette réplique, et notamment depuis mardi. Nous ne savons pas ce que le policier, mis en examen hier pour homicide volontaire, a dit à l’adolescent avant de tirer ; surtout, nous ne savons pas ce que la victime lui a répondu avant d’être tuée par balle. Un mot de sa part a-t-il déclenché la colère du fonctionnaire, dont la posture menaçante, penchée très en avant sur le capot, témoignait d’une agressivité certaine ? Si Nahel avait prononcé d’autres phrases, le policier aurait-il tiré de la sorte ? Nous ne le saurons sans doute jamais. Mais je ne peux m’empêcher de penser que quelque chose s’est aussi noué oralement dans cette confrontation, et pas seulement autour de l’infraction commise par le garçon au volant de la voiture. Pour un même délit – qu’on le commette on qu’on le subisse –, les mots que nous employons peuvent en effet déterminer la prise en compte plus ou moins satisfaisante de notre cas par un agent. C’est un fait, et un problème : cela met automatiquement dans une situation d’infériorité les individus qui ne choisissent pas les “bons termes”. Le rapport de force devient une question de personnes, et non plus un échange d’arguments et d’idées.

Le pouvoir des mots a quelque chose de mystérieux. Dans les rapports amoureux, on ne mesure pas toujours à quel point certains termes peuvent blesser. Au travail, on s’étonne parfois qu’une phrase toute simple puisse débloquer une situation. Il se trouve que le dossier que Philosophie magazine a mis à la une ce mois-ci, “Le langage résout-il les conflits ?”, s’intéresse à ce mystère du verbe. Dans son édito, Alexandre Lacroix cite une phrase de Sigmund Freud sur l’étonnant pouvoir de la parole : “Les mots faisaient primitivement partie de la magie, et de nos jours encore, le mot garde beaucoup de sa puissance de jadis” (Introduction à la psychanalyse). Les mots, bien qu’immatériels, ont des conséquences pratiques dans le monde physique, sans qu’on comprenne toujours pourquoi ni comment. Mais les mots ont aussi leurs limites. Soudain, ils peuvent perdre de leur force. On ne les entend plus, on ne veut plus parler, plus rien savoir. Parfois même, on préfère choisir la révolte. L’art de gouverner consiste ainsi à prendre la mesure, au jour le jour, de l’efficacité réelle de sa propre parole. Car un souverain qui se pique d’avoir de l’esprit et n’aime rien tant que les bons mots, c’est aussi un homme qui risque de ne pas voir que, depuis belle lurette, plus personne ne l’écoute. »

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