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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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© Andrew Leinster/Pixabay

Vivre sa vie… ou la rêver ?

Ariane Nicolas publié le 20 octobre 2023 4 min

« Il peut paraître dérisoire, et presque déplacé, de témoigner d’une douleur intime quand le fracas du monde sévit et emporte, à juste titre, les conversations. Mais au milieu du chaos, nous continuons de vivre, et sommes parfois confrontés à un désordre intérieur né de tout autre chose, au même moment – par exemple un cataclysme familial, ou une rupture sentimentale. Face à une trajectoire de vie devenue illisible, on se demande alors : que faire d’un rêve qui nous a animé et que l’on doit brutalement abandonner ?

Je fais partie, du moins on me l’a dit, de la famille des “rêveurs”. Un léger penchant pour la mélancolie, un goût prononcé pour la contemplation et un caractère sagement anxieux me portent à imaginer plus que de raison ce à quoi pourrait ressembler ma vie, plutôt que de vivre cette vie expressément. C’est un peu le syndrome “quand je vais à la plage, je préfère regarder les gens barboter plutôt que me baigner.” Depuis ma bulle, je reste au bord de l’eau et me projette au milieu des vagues, rêvant aux instants de bonheur que cette activité pourrait me procurer sans m’y adonner véritablement. Bien sûr, quand l’ennui m’atteint ou que l’on me hèle depuis la mer, il m’arrive de me jeter à l’eau, mais jamais sans avoir échafaudé auparavant mille et un plans d’action – scénarios dont l’élaboration me procure autant sinon plus de joie que l’action elle-même.

Cette tendance à la rêverie a deux versants. D’un côté, elle peut être une force inhibante, qui retarde nos prises de décision et nous maintient dans une forme d’attentisme complaisant. On laisse les autres vivre à notre place et qu’importe si notre stock d’expériences est moins élevé ! La mort viendra de toute façon tout remettre à zéro. D’un autre côté, le matériau psychique brassé pendant des heures, voire des années, nourrit l’action que l’on finit par conduire. La rêverie prépare, informe, consolide le vécu. Si nous agissions toujours spontanément, en plein accord avec nous-même, sans avoir la réflexivité, l’écart qui permet de saisir d’où vient notre goût pour telle ou telle chose ou notre préférence pour tel ou tel choix de vie, alors nous serions toujours le nez plaqué contre le réel. Nous ne nous verrions pas vivre et peut-être même ne saurions-nous pas que nous sommes vivants.

Rêver est donc un refuge aussi bien qu’une ressource. Mais il arrive que le rêve se dérègle et qu’il ne soit plus ni l’un, ni l’autre. On suffoque soudain dans sa bulle, on cauchemarde en plein jour. La projection intérieure qui nous rendait heureux hier et qui aujourd’hui nous accable ne cesse de nous pourchasser. Impossible de se réveiller… Dans son livre Route de nuit (Gallimard, 1999), journal de sa dépression que j’ai récemment découvert dans L’Obs à l’occasion de l’anniversaire de sa naissance, Clément Rosset écrivait : “Les pires détresses que j’ai connues appartiennent, non à ma vie réelle, mais à mes songes.” Lorsqu’une chose manque ou disparaît, ce n’est pas tant la présence réelle de cette chose qui nous fait souffrir – ni la matière ni les humains ne sont irremplaçables – mais l’idée liée à elle, la représentation que nous en avions, le rêve qu’elle incarnait et qui accompagnait notre vie comme le fil accompagne l’aiguille.

“Il vaut mieux rêver sa vie que la vivre, encore que la vivre ce soit encore la rêver”, écrit de son côté Proust, dans son recueil de poèmes en prose Les Plaisirs et les Jours (1896). Je repense souvent à cette phrase. Je ne suis pas sûre de la comprendre entièrement, mais elle me parle. La vie de l’esprit est plus palpitante que la vie tangible, c’est un fait ; mais il n’existe aucune expérience concrète, même la plus triviale au monde, qui ne soit infusée de l’imagination que nous lui adossons. Il est plus doux de songer à sa liste de courses plutôt que d’aller au supermarché ; mais se promener dans un supermarché suscite en nous des images, des sensations, des réflexions qui font retour dans notre esprit et irriguent notre vie psychologique. Personne ne peut se prétendre parfaitement matérialiste. À un moment, le cerveau reprend toujours le dessus.

J’aime cette sentence de Proust, mais je ne peux m’empêcher de penser que c’est la sentence d’un homme qui va bien. Je me demande ce que Clément Rosset aurait pu en dire – peut-être a-t-il écrit dessus quelque part. Car quand le rêve devient cauchemar, n’en déplaise à mon si cher Marcel, une brutale évidence vient nous harponner : il vaut mieux vivre sa vie. Point. »

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