L’Élan du désir 

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« Comment vivre son désir ? Comme une épreuve ou comme une célébration ? Comme une malédiction ou comme une chance ? » Une malédiction, répond la tradition philosophique de concert. Car, à l’exception de Spinoza et de Nietzsche, elle fait bloc autour d’un même présupposé : « une vie pleine et épanouie [consiste] à surmonter ou neutraliser son désir », à atteindre un état statique de plénitude – le bonheur – que le manque rendrait impossible. Contre ses éminents prédécesseurs, le spécialiste anglais de Heidegger Miguel de Beistegui affirme au contraire : « Le désir n’est pas l’indice d’un défaut. » S’il ne s’éteint jamais, c’est parce qu’il ne manque de rien, et non parce que rien ne pourrait le combler. Pure positivité « vitale », le désir exprime la « tendance profonde de la vie à se dépasser » – une « surabondance », un « excès » irréductible de la vie sur elle-même, qui jaillit d’une « béance originelle et [d’une] division inaugurale du sujet ».

Le désir est l’élan premier par lequel nous sortons de nous-mêmes et nous engageons dans le monde, tout en prenant part à son « déploiement » : il « se loge précisément dans l’interstice qui sépare l’état actuel du monde de son horizon […] fait tout entier de potentiels inouïs, de virtualités aussi mystérieuses qu’inépuisables ». Il manifeste en ce sens une « inquiétude première, [un] vacillement ou déséquilibre intarissable ». Assumer cette intranquillité indépassable suppose d’« en aggraver l’entaille, afin qu’une multiplicité, un fourmillement de rencontres, d’événements et d’intensités viennent le peupler ». Rien de plus difficile, sans doute. Rien de plus exaltant, pourtant, que de se risquer sur cette voie de « l’immanence et de la joie ». 

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