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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Escalier Potemkine © Michel Eltchaninoff

2. Sur la route de la Novorussie

Michel Eltchaninoff publié le 20 juin 2014 10 min

Je reviens vers le centre où j’ai rendez-vous avec des représentants du mouvement pro-européen local. Oksana Dovgopolova est une philosophe, spécialiste de pensée médiévale, qui travaille aussi sur les manipulations de la mémoire historique. Je fais également la connaissance de Vitali Oplatchko, le doyen de ce petit groupe. Il était l’un des premiers entrepreneurs privés de l’époque soviétique et dirige une compagnie maritime. Il a inauguré il y a quelques années une « université libre » et est fortement engagé dans la cause européenne. Celui qu’on devine un merveilleux compagnon de table en temps de paix est un notable qui a l’air de connaître tout ce qui se passe dans la ville. Kirill Lipatov, enfin, est archéologue et historien de formation. Avec son faux air d’Orson Welles, ses grosses lunettes et son crâne luisant, il assène d’une voix grave les analyses les plus désabusées et pessimistes sur les événements en cours, l’indifférence de l’Occident et l’avenir de la révolution ukrainienne. Il a connu l’épreuve du feu en passant deux jours sur le maïdan, fin février, à soigner les dizaines de blessés sous les tirs des forces spéciales loyalistes. Maintenant, il craint une suite pleine de bruit et de fureur.

Comme tous les Odessites, Oksana, Vitali et Kirill sont encore sous le choc de la tuerie de la semaine précédente. La professeure de philosophie me raconte que la coexistence des deux camps, les pro-maïdan et les anti, était jusqu’alors parfaitement pacifique. Depuis le début de la crise, en novembre 2013, les pro-européens se rassemblaient sur l’avenue du bord de mer, en haut de l’escalier du Potemkine, au pied de la statue du Duc de Richelieu. Les pro-russes ont commencé, eux, à se mobiliser au lendemain de la fuite de l’ancien président Ianoukovitch. Oksana assure que lorsque des manifestations des deux camps avaient lieu le même jour, les responsables des services d’ordre tombaient d’accord pour soigneusement séparer les itinéraires. Bref, personne ne souhaitait la violence. Et tout s’est déroulé dans le calme jusqu’au 2 Mai. Pourquoi alors ce soudain déchaînement de violence ? Oksana et Vitali se relaient pour me raconter. Depuis quelques semaines, les marches conjointes de supporters de football sont à la mode en Ukraine. Elles rassemblent les « ultras » d’équipe rivales, mais tous pro-Ukrainiens. Certaines de ces marches se sont pourtant soldées par des combats violents entre pro- et anti-maïdan. Le 2 Mai, les supporters de l’équipe d’Odessa et de Kharkov se rassemblent malgré tout sur une place du centre ville, accompagnés de plusieurs centaines de manifestants pro-européens et de quelques dizaines de membres du service d’ordre du maïdan, dans une atmosphère pacifique. Ce cortège de 2000 personnes au maximum a le stade pour destination. « Il n’y avait aucun plan caché du maïdan pour se débarrasser du camp de tentes des pro-russes » assure Vitali. Avant même le début de la marche, deux ou trois centaines de militants pro-russes, casqués et armés de bâtons, se rassemblent à quelques rues de là, sous les yeux de la police qui n’intervient pas. Après avoir tenté d’attaquer le quartier général du Service d’ordre des pro-européens, les pro-russes agressent très violemment les manifestants dans les ruelles piétonnes du centre. Rapidement, des coups de feux isolés retentissent. Vitali veut rester objectif. « Y avait-il des armes à feu chez les pro-maïdan ? demande-t-il. Je pense que oui. Chez les anti ? C’est certain ». Sur les photos prises pendant ces heures d’émeutes, on voit plusieurs hommes masqués viser les manifestants pro-européens avec des armes à feu. Au moins deux personnes sont mortes sous ces balles, affirment mes interlocuteurs. Le plus étrange est l’attitude de la police, qui n’est pas intervenue assez vite ni assez vigoureusement pour empêcher les combats, et qui semble même avoir « protégé » les tireurs pro-russes. La suite des événements soulève également des questions. Oksana admet qu’on peut la soupçonner d’être partiale, puisqu’elle est une pro-européenne déclarée. Mais elle connaît des victimes des deux côtés. Son fils est allé à plusieurs enterrements récemment. « Personne ne peut se réjouir de ce qui s’est passé. Ce n’est une victoire pour personne » soupire-t-elle. Pourtant elle s’interroge sur « ce qui s’est déroulé à l’intérieur de la maison des syndicats. Pourquoi les militants pro-russes, au lieu de se disperser dans la ville, se sont-ils concentrés dans cette forteresse ? L’homme qui les aurait poussés à entrer, un ancien député communiste nommé Alexeï Albou, a fui depuis en Crimée. D’où étaient lancés les cocktails Molotov qui ont mis le feu au bâtiment ? De la place, donc de la partie pro-européenne, ou du haut de l’immeuble, où des pro-russes en jetaient également ? Et que s’est-il passé à l’intérieur ? Pourquoi a-t-on retrouvé des clés de bureaux jetées par les fenêtres du bâtiment ? Quelqu’un, à l’intérieur, a-t-il enfermé des personnes pour qu’elles meurent ? Pour l’instant, on ne sait rien. Mais beaucoup de questions demeurent... » Vitali évoque, lui, la sauvagerie de ce qui s’est passé ensuite : « ce qui m’a fait le plus mal, c’est qu’on frappait les gens, de tous côtés, lorsqu’ils parvenaient à s’échapper de l’incendie. Mais ceux qui les frappaient, je ne les avais jamais vus sur notre maïdan. Ce sont des marginaux qui se joignent inévitablement aux mouvements de foules ». S’il s’agit d’une manipulation, d’une opération décidée à l’avance pour « créer » des victimes pro-russes, à qui profite le crime ? Selon Vitali, c’est peut-être un épisode de la lutte sans merci que se livrent les candidats à la mairie de la ville. Mais pour Kirill, les responsabilités au niveau régional ou national ne sont pas à exclure. « Opération du clan de l’ex-Président Ianoukovitch ? De Ioulia Timochenko, qui d’après certains analystes voudrait semer le chaos pour interrompre le processus électoral qu’elle est certaine de perdre ? Plus haut ? du côté du Kremlin ? je ne me risquerais pas à l’affirmer » répond Kirill — même si tous les pro-européens y pensent fortement. Ce sur quoi tout le monde s’accorde, c’est sur les dysfonctionnements de la police, qui n’a pas protégé les civils, des services de sécurité qui n’ont pas anticipé, de la justice qui a mis en liberté l’un des responsables de la police quelques jours après la tragédie — il s’est immédiatement enfui en Transnistrie voisine. Quant aux pompiers, on se demande pourquoi ils ont mis tant de temps à arriver sur le lieu de l’incendie.

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