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L’affiche du 69e Festival de Cannes. © Lagency/Taste (Paris)/Le Mépris © 1963 StudioCanal

Ah, le mépris !

Ariane Nicolas publié le 26 janvier 2024 4 min

« Qu’elle est belle ! Jaune d’or, magistrale, énigmatique. Après un mois d’attente, l’affiche du 69e Festival de Cannes trône enfin dans mon salon, joliment encadrée. L’image représente l’acteur Michel Piccoli qui, dans Le Mépris (1963) de Jean-Luc Godard, grimpe sur le toit de la célèbre villa Malaparte. De quoi m’interroger, à force d’admirer cette ascension solitaire sur l’escalier en V : comment ça marche, au fond, le mépris ?

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Je me suis d’abord posé une question simple. Ai-je déjà méprisé quelqu’un ? Autant j’ai déjà eu le sentiment qu’on me méprisait, moi, ma personnalité, un geste ou un mot mal maîtrisé que j’aurais eu – sentiment affreux de n’être digne d’aucune considération, de ne même plus exister –, autant je n’ai pas trouvé d’équivalent inverse. Après ma dernière rupture amoureuse, j’aurais bien aimé faire comme Brigitte Bardot dans Le Mépris, dont le personnage de Camille se détourne souverainement de son mari Paul qu’elle juge soudain minable. En quelques minutes, souvenez-vous, la jeune femme comprend qu’il l’utilise comme faire-valoir pour se mettre un producteur dans la poche. Quel mufle ! Et d’une banalité, d’une misogynie à pleurer. Majestueuse Camille. J’ai beau admirer son panache, je ne parviens pas à l’imiter. Pas plus que je n’arrive à mépriser globalement les personnes malveillantes à mon égard qui, selon la définition du dictionnaire, ne valent pourtant pas à mes yeux “la peine qu’on leur porte attention ou intérêt”.

L’idée de mépris comporte un paradoxe. D’un côté, on attribue une valeur nulle à la personne que l’on cible de notre mépris : on ne va quand même pas perdre notre temps à lui signifier à quel point elle est lamentable ni à tenter de la changer. On passe notre chemin, la tête haute. Mais en même temps, le mépris n’est pas synonyme d’indifférence, c’est bien plutôt une indifférence ostentatoire, surjouée, qui attend une forme de validation extérieure : on veut que la personne mesure à quel point elle est désormais le cadet de nos soucis. Dans le film de Godard, tandis que Paul demande à Camille pourquoi elle fait la tête, elle lui avoue : “Je te méprise.” N’est-ce pas, d’une certaine manière, un début d’aveu d’échec ? Il semble qu’un mépris pleinement réalisé devrait faire l’économie d’une telle assertion. Ou bien peut-être Camille espère-t-elle aussi, par cette phrase, susciter un dernier sursaut d’honneur de la part de Paul, dont elle sait au fond qu’il ne viendra jamais... Dans tous les cas, une tension demeure.

Le problème est peut-être de savoir qui atteste du mépris, lorsqu’il se manifeste. Suffit-il de ressentir du mépris pour que cet affect soit validé ? Si la personne en face ne se sent pas lésée, le mépris est-il vraiment effectif ? Prenons pour exemple non pas la sphère amoureuse mais, disons, Bernard Arnault, qui représente peut-être à mes yeux le pire de ce qu’un être humain peut incarner (la vénération de l’argent, l’outrecuidance sans borne, l’artificialité des goûts, la mise à sac de la planète, le mensonge). Je ne m’autorise pas à le haïr, car je tiens à employer mon énergie ailleurs ; mais je peine à le mépriser, alors que je m’enorgueillirais d’y parvenir. Il me semble que deux choses en moi résistent : d’une, il faudrait que le milliardaire me connaisse pour que le mépris agisse, or sa vie consiste à ignorer l’existence de gens de ma trempe ; de deux, ma position sociale est trop inférieure à la sienne pour que je l’atteigne d’une façon ou d’une autre. Si de moi à lui mépris il y a, il est théorique, purement déclaratif.

Pour Vladimir Jankélévitch, le mépris est “la haine inexplicable du supérieur pour l’inférieur” (Philosophie morale). C’est une belle définition, qui corrobore l’idée sociologique de “mépris de classe”. Mais cette définition me paraît réductrice, car elle ôte de fait la possibilité que “l’inférieur” puisse mépriser “le supérieur”. La personne quittée, par exemple, est-elle condamnée à ne pouvoir mépriser son ancien partenaire, au prétexte qu’il ou elle aurait “l’avantage” du simple fait d’être parti(e) ? Dans certaines situations, le mépris peut constituer un formidable détergent social, une arme de défense autant qu’un gain de temps précieux – Camille en sait quelque chose. Reste à savoir pourquoi certaines personnes s’y livrent plus facilement que d’autres. Il faut croire que j’ai regardé Le Mépris un peu trop tard : si j’avais pris exemple sur Camille dès ma jeunesse, qui sait si j’aurais perdu tant de temps à excuser, plaindre ou compatir avec des individus dont je suis, au fond, convaincue qu’ils ne valent moralement pas mieux que Paul. Puisse ma nouvelle affiche davantage m’inspirer, à l’avenir ! »

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