Aux frontières de l’esprit

Philomag vous propose chaque semaine une sélection d’articles parus dans la presse française et étrangère, rassemblés autour d’une thématique commune. Des articles qui nous ont surpris, questionné, dérangé. L’occasion de découvrir de nouveaux points de vue sur le monde et les événements qui font l’actualité.

Cette semaine, une thématique : les limites de l’esprit. Où commence la conscience ? La pensée s’arrête-t-elle aux frontières de notre corps ? Quel rapport entretient-elle avec le monde réel ? Et avec le monde virtuel ? Pourra-t-on un jour créer un esprit ? Autant d’interrogations qui reviennent, à intervalles réguliers, dans l’espace public – de la sphère médiatique aux polémiques universitaires. Éclairage en quatre articles.

David Chalmers : « Nous investissons du sens dans le monde physique – et nous pouvons faire de même dans les mondes numériques »

L’espace numérique existe-t-il, ou n’a-t-il de réalité que dans nos esprits ? La question est mal posée, affirme le philosophe australien David Chalmers dans le New York Times : « En tant que philosophe, je pense que le sens de nos vies est ancré dans notre conscience. Les êtres humains sont conscients, ce qui nous donne la capacité d’investir du sens dans le monde physique. Nous pouvons faire la même chose avec la réalité virtuelle. » De ce point de vue, « nos vie virtuelles sont de vraies vies », et pas des vies illusoires, perdues dans un pseudo-monde sans consistance. Nous nous égarons lorsque nous opposons réel et virtuel.

Adam Frank : « Les métaphores machiniques pour parler de la vie et de l’esprit sont, je pense, profondément erronées »

Et si l’esprit n’était qu’un parasite accroché au corps : c’est l’idée explorée par l’astrophysicien américain Adam Frank que le site Big Think, à partir d’une lecture du roman Vision aveugle (2006 ; trad. fr. Le Bélial, 2021) de l’écrivain canadien de science-fiction Peter Watts. Se pourrait-il que l’esprit soit simplement un « complément énergivore aux fonctions cérébrales qui n’est pas nécessaire à l’intelligence » ? Une sangsue apparue par hasard dans l’évolution, dont il faudrait espérer la disparition prochaine ? L’idée est stimulante… mais réductrice selon Frank. Elle « repose sur l’utilisation de métaphores machiniques pour parler de la vie et de l’esprit (en bref, sur l’idée que vous n’êtes rien d’autre qu’un ordinateur à viande) ». Insuffisant.

Hermona Soreq et Raphael Malach : « Le cerveau est la base de tout ce que nous avons »

Pour comprendre l’esprit, il faut commencer par étudier le cerveau, affirment les neuroscientifiques Hermona Soreq et Rafael Malach dans un entretien accordé au Jerusalem Post : « le cerveau humain […] est à la base de […] nos expériences, de nos pensées et de nos processus inconscients. […] Tous nos processus psychologiques conscients et inconscients commencent par le tissu appelé le cerveau humain » – le « plus complexe tissu » de nos organismes. Une approche physicaliste qui, pour les chercheurs, est indispensable si nous voulons un jour créer des intelligences artificielles : « Nous avons beaucoup à apprendre avant de pouvoir programmer le cerveau, mais c’est une bonne chose que nous essayions. »

Benjamin Curtis et Julian Savulescu : « Nous savons que nous ne sommes pas des zombies ; comment pouvons-nous être sûrs que les autres ne le sont pas ? »

Que faut-il penser, d’ailleurs, de cette intelligence artificielle de Google – LaMDA, pour Language Model for Dialogue Applications – dont un ingénieur de la firme, Blake Lemoine, affirmait récemment qu’elle était « sentiente » et consciente ? Prématuré, répondent les philosophes Benjamin Curtis et Julian Savulescu dans The Conversation. « La conscience passe par la possession de ce que les philosophes appellent “qualia”. Ce sont les sensations brutes de nos sentiments : douleurs, plaisirs, émotions, couleurs, sons, odeurs ». La capacité de « voir la couleur rouge », et non simplement la capacité de « dire que vous voyez la couleur rouge ». « LaMDA est un manipulateur de symboles très complexe », qui traite un grand nombre de données pour répondre à ses interlocuteurs. Mais « il n’y a aucune raison de penser qu’elle comprend ce qu’elle dit ou ressent quoi que ce soit ».