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Fécamp, en Normandie, le 18 décembre 2018. Manifestation de “Gilets jaunes”. © Jean Gaumy/Magnum Photos

Dossier/“Préférons-nous l'ordre ou le désordre ?”

Catherine Malabou-Jean-Claude Monod : être ou ne pas être gouverné ?

Catherine Malabou, Jean-Claude Monod, propos recueillis par Martin Legros publié le 12 janvier 2023 13 min

Face aux bouleversements provoqués par la crise écologique, les plateformes numériques ou le retour de la guerre, faut-il en appeler à l’État et aux institutions publiques pour préserver l’ordre ? Ou faut-il faire davantage confiance à la capacité d’auto-organisation des individus et des sociétés, et à la fécondité du désordre ? Catherine Malabou, théoricienne de l’anarchie, croise le fer avec Jean-Claude Monod, penseur de la gouvernementalité.

 

Catherine Malabou : Dans la vie de tous les jours, je suis moyennement ordonnée, sans être maniaque du rangement. En revanche, il y a un domaine dans lequel je suis intraitable, c’est le domaine intellectuel. Quand j’écris ou quand je pense, j’ai toujours besoin de faire des plans, je ne peux rien faire tant que le déroulé du raisonnement n’est pas clairement établi dans mon esprit. Dans ce registre, Descartes a parfaitement raison : une idée ne prend sens que dans l’ordre et la clarté des raisons. Et chez les autres, c’est pareil, je ne supporte pas les pensées confuses, cela me hérisse.

 

Jean-Claude Monod : Je suis relativement bordélique. J’ai toujours du mal à ranger mon bureau et mon appartement. Cela ne m’empêche pas de redouter le désordre. Je suis fonctionnaire, père de famille… Je préfère qu’il y ait de l’ordre dans les rues, que je ne m’inquiète pas à chaque seconde pour mes enfants, je suis content de ne pas vivre dans le chaos d’une guerre civile. Le goût de l’ordre est naturel, mais si l’ordre se durcit, se fossilise, il empêche la vie et la liberté. C’est là où la tension devient intéressante : les vivants que nous sommes, en quête d’ordre, sont habités par une inquiétude fondamentale. Ce que John Locke appelait l’« uneasiness », l’incapacité à rester en place. On le ressent tous : une vie « rangée » est synonyme d’ennui. Il y a en nous une poussée vers des aventures en tout genre. Sur le plan politique, personne n’a envie de vivre dans un État qui contrôlerait tout. Et ce qui nous intéresse dans toutes les formes de protestation, c’est qu’elles mettent à mal la prétention de l’ordre à être bien fondé.

 

C. M. : Le concept d’ordre est double, scindé même peut-être, ce qui introduit déjà en lui un certain désordre. Dans la pensée, l’ordre est une condition de possibilité absolue. J’ai évoqué Descartes. Dans l’ontologie, l’ordre est une nécessité de répartition, de distribution. Je pense aux trois ordres de Pascal (ordres des corps, des esprits, de la charité), qui délimitent ce que l’on peut et ce que l’on ne peut pas comprendre. En politique, le sens de l’ordre est beaucoup plus ambigu, il désigne l’organisation mais aussi la répression, la dictature, la mise au pas, comme on l’entend dans le nom du mouvement néofasciste Ordre nouveau. Il s’agit donc d’un concept très difficile à manier. Le meilleur et le pire sont inscrits en lui.

 

J.-C. M. : La question de l’ordre et du désordre est au cœur de notre actualité. Pensons au mouvement des « gilets jaunes » ou à celui des zadistes. Ou au mouvement antivax suscité par le Covid. Ils procèdent tous de ce que j’appelle, dans les pas de Michel Foucault, une aspiration à « ne pas être trop gouvernés » ou à « ne pas être gouvernés comme ça ». Mais si Foucault sympathisait avec la plupart des « révoltes de conduite », à la fin des années 1970, il reliait aussi ce refus grandissant des hiérarchies verticales à la montée en puissance de l’idéologie néolibérale qui joue sur le sentiment du trop d’État et invite chacun à maximiser le capital qu’il est pour soi-même.

© Loïc Venance/AFP

En marge du Festival de Cannes, le 22 mai 2022, les membres du mouvement féministe Les Colleuses tiennent une banderole portant les noms des 129 femmes décédées des suites de violences conjugales en France en un an. © Loïc Venance/AFP

C. M. : Selon moi, nous vivons un grand retour de l’anarchie. Anarchie de fait d’abord qui voit l’État perdre de plus en plus sa capacité à protéger le social. Mais anarchie d’éveil aussi avec une aspiration multiforme, des zadistes aux « gilets jaunes », à se détacher des modèles d’organisation pyramidaux et à prendre en charge, de manière autogérée, un milieu ou un territoire. L’idée du livre que j’ai consacré à l’anarchie m’est venue d’un article que j’avais lu sur Donald Trump, intitulé « Trump est-il un anarchiste ? » Au début, j’avais cru à une plaisanterie. Trump ne cherchait-il pas à apparaître, tels Bolsonaro au Brésil, Orbán en Hongrie, puis Meloni en Italie, comme celui qui va remettre le pays en ordre ? Mais, dans le fond, à l’instar d’une grande partie du mouvement réactionnaire, il appartient au libertarisme, qui revendique une totale liberté d’action par rapport au gouvernement, qui refuse de payer des impôts ou de contrôler la vente d’armes. Cela correspond à un mouvement de fond du capitalisme qui est en train d’amorcer son tournant anarchiste, en nous donnant l’illusion, avec Uber ou Amazon, que nous sommes libres d’organiser nous-mêmes notre rapport à l’économie à travers les plateformes numériques. On peut louer son appartement, faire de sa voiture un taxi, on devient les managers de nous-mêmes. De toutes parts, il y a une remise en question des formes d’organisation hiérarchique et centralisée. Le problème est de parvenir à faire la différence entre ce nouvel anarchisme d’éveil, à tendance révolutionnaire, et cet anarchisme de fait, à tendance libertarienne.

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Article issu du dossier "Préférons-nous l’ordre ou le désordre ?" janvier 2023 Voir le dossier
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