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Chantal Mouffe en 2018 © Édouard Caupeil

Entretien

Chantal Mouffe : “Il est temps de construire une nouvelle frontière politique”

Chantal Mouffe, propos recueillis par Martin Legros publié le 22 août 2018 16 min

À force d’affirmer qu’“il n’y a pas d’alternative”, les peuples se fatigueront de la démocratie. C’est l’avertissement lancée par Chantal Mouffe, bien avant que n’émergent les régimes autoritaires de Trump, Poutine ou Erdogan. Et la philosophe belge, inspiratrice de Podemos et de la France insoumise, d’y opposer un “populisme de gauche” – le titre de son livre à paraître à la rentrée. Nous sommes allés nous confronter à celle qui fait du conflit l’essence même du politique.

Chantal Mouffe en 8 dates

  • 1943 Naissance le 17 juin près de Charleroi, en Belgique 

  • 1966 Départ pour l’Amérique latine 

  • 1972 De retour en Europe, elle rencontre Ernesto Laclau à l’université de l’Essex (Grande-Bretagne). Il deviendra son mari et son compagnon de route intellectuel 

  • 1985 Publication en anglais avec Ernesto Laclau de Hégémonie et Stratégie socialiste. Vers une démocratie radicale qui les impose dans le champ du « postmarxisme » 

  • 1989 Directrice de programme au Collège international de philosophie jusqu’en 1995 

  • 2014 Mort d’Ernesto Laclau 

  • 2015 Publication en Espagne de Construire un peuple, livre d’entretiens avec l’un des fondateurs de Podemos 

  • 2018 Publication de Pour un populisme de gauche

C’est par un chaud après-midi d’été que nous nous sommes rendus à Londres pour rendre visite à celle qui apparaît comme l’une des figures intellectuelles majeures de la gauche radicale. Après avoir été la conseillère spéciale de Podemos en Espagne – elle a publié un livre d’entretiens avec le cofondateur du mouvement, Iñigo Errejón, en 2015 –, Chantal Mouffe cultive une grande proximité, amicale et politique, avec La France insoumise, incarnée par Jean-Luc Mélenchon ou François Ruffin, et se fait le chantre, partout en Europe, d’un nouveau « populisme de gauche » – le titre de son dernier livre. En nous recevant au rez-de-chaussée d’une maison en brique rouge typique du quartier résidentiel de Kilburn, un temps fief historique des Irlandais, au nord de la City, elle se présente d’ailleurs comme une « activiste férue d’idées » plutôt que comme une philosophe. De fait, depuis que cette jeune fille de la bourgeoisie belge a quitté l’Europe des années 1960 pour rejoindre l’Amérique latine en vue de « faire la révolution », c’est en termes de stratégie et d’hégémonie politique que pense Chantal Mouffe. Avec une certaine efficacité. Elle a ainsi mis au jour les difficultés de la gauche marxiste à faire place aux nouvelles luttes initiées par les minorités au nom des droits de l’homme. Et elle a diagnostiqué avant tout le monde que la politique « au centre », initiée par Tony Blair hier et prolongée par Emmanuel Macron aujourd’hui, ne pouvait manquer de susciter un nouveau clivage entre le peuple et les élites, entre ceux d’en bas et ceux d’en haut, qui serait le nouvel enjeu des batailles électorales. Mais, bizarrement, cet esprit combatif, qui fait de l’antagonisme le cœur de la vie politique, rechigne parfois à s’expliquer sur ce qui pose question dans son positionnement. L’interroge-t-on sur ses emprunts au sulfureux Carl Schmitt, juriste qui fut membre du parti nazi et développa une pensée centrée sur l’opposition « ami-ennemi », qu’elle refuse de répondre sur le destin de l’homme pour ne s’intéresser qu’à sa critique du libéralisme. Lui demande-t-on encore de s’expliquer sur sa vision paradoxale de la laïcité, puisqu’elle envisage, hors de l’Occident, une démocratie qui intégrerait la charia, la voilà qui commence par nous faire un développement sur le monde multipolaire et le contextualisme de sa pensée… pour exiger au final la suppression de ces questions, arguant que « c’est une question trop importante pour la traiter de façon superficielle ». Même si l’entretien a duré trois heures et fut par moments « agonistique », tout se passe comme si cette avocate du conflit en politique avait parfois du mal à faire place à l’adversité dans la pensée…

 

Vous êtes née en Belgique, à proximité de Charleroi, vous avez fait des études de philosophie à Louvain et à Paris. Et, à l’époque, vous étiez déjà très engagée politiquement…

Chantal Mouffe : Je suis arrivée à l’Université en 1960. J’avais 17 ans. Au départ, je voulais être grand reporter ou faire des études d’ethnologie au Mexique. J’avais envie de découvrir le vaste monde, la passion romantique de l’ailleurs. C’est l’une des raisons pour lesquelles je suis partie en Colombie après mes études. Mais, à l’époque, vu mon jeune âge, mes parents, issus de la bourgeoisie catholique, se sont opposés à ce que je parte, et j’ai décidé de suivre des études de philosophie à Louvain. Cela ne m’a pas empêchée de m’engager dans l’activisme politique. Je suis vite devenue rédactrice en chef du journal officiel des étudiants de l’université, L’Escholier de Louvain, et animatrice d’un autre journal estudiantin, Parole, plus marqué à gauche. On défendait l’indépendance de l’Algérie, la révolution cubaine, on écrivait sur les événements, mais on soutenait aussi les porteurs de valise qui logeaient des membres du FLN en clandestinité en France et en Belgique. Cela ne plaisait pas trop aux autorités académiques, qui étaient encore sous l’autorité de l’Église catholique. Le chanoine qui me supervisait voyait d’un mauvais œil l’orientation politique que je donnais à tout cela. Je me suis ensuite dirigée vers Paris : au départ pour m’inscrire à l’École pratique des hautes études auprès de Lucien Goldmann, mais je me suis vite retrouvée dans le séminaire consacré au Capital de Marx dirigé par Louis Althusser à l’École normale supérieure.

 

En 1966, vous êtes partie pour la Colombie…

Oui, un peu avant 1968, je me suis mariée à Paris avec un Colombien que j’avais rencontré à Louvain. Notre intention était d’aller faire la révolution en Colombie. Non pas les armes à la main, rassurez-vous ! L’idée était d’organiser une école de cadres à Barrancabermeja, le centre pétrolier où était implantée la plus grande raffinerie du pays. Nous avions un ami avocat, proche du principal syndicat du pays qui devait nous intégrer à ce projet. Mais le hasard a voulu que nous arrivions au moment de la scission entre les communistes procubains et staliniens. L’ami qui devait nous accueillir était parti à Cuba. On s’est retrouvés devant toute la nomenklatura locale, prostalinienne, qui nous considérait comme de dangereux gauchistes. Toutes les portes se sont refermées. Mon mari était économiste, il a trouvé un poste dans la planification nationale à Bogota. Et moi, grâce à un ami qui était assistant à l’Université nationale, j’ai intégré la faculté de philosophie où, en « bonne althussérienne », j’ai enseigné l’épistémologie. Je n’y connaissais rien. Mais comme je rentrais chaque année à Noël en Belgique, je faisais un saut à Paris chez Althusser, et nous concoctions ensemble le programme de mes cours. En Colombie, j’en étais venue à être considérée comme LA spécialiste de l’épistémologie. Mais cela n’était pas sérieux, et j’ai senti la nécessité de changer d’orientation. Je suis revenue en Europe pour faire des études de sciences politiques avec l’objectif de me confronter à une autre tradition intellectuelle, celle de l’empirisme anglo-saxon. J’ai choisi l’université de l’Essex, la seule où il y avait eu des révoltes étudiantes en 1968. C’est là que j’ai rencontré le philosophe argentin Ernesto Laclau qui est devenu mon mari. Il ne pouvait pas rentrer en Argentine à cause de la dictature, et nous avons décidé de rester temporairement en Angleterre. J’ai commencé à passer une partie du temps en France, comme journaliste d’abord, afin de couvrir pour le magazine New Statesman les premières années de la présidence socialiste de François Mitterrand, et ensuite comme directrice de programme au Collège international de philosophie. Cela me laissait beaucoup de libertés et je n’ai jamais eu en tête le moindre plan de carrière universitaire. Même si j’ai eu des postes de recherche à Princeton, à Harvard, à Cornell, et si j’ai enseigné à la New School de New York. Puis, en 1995, on m’a proposé de rejoindre l’université de Westminster et j’ai décidé d’accepter. Finalement, gagner sa vie comme prof de fac, c’est assez facile comparé à la vie de journaliste. Hélas ! aujourd’hui, l’éthos universitaire fondé sur la liberté des professeurs est menacé par un vaste programme de bureaucratisation.

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