Comment Doctolib a transformé notre rapport au soin

La plateforme Doctolib, qui permet de prendre un rendez-vous médical proche de chez soi en un clic, a facilité la vie des patients. Mais cette simplicité logistique ne se paie-t-elle pas d’une perte de la qualité du lien entre un patient et son médecin ?

« Comment améliorer le quotidien des soignants et autonomiser les patients ? » C’est de cette question posée par Stanislas Niox-Chateau en 2013 qu’est né Doctolib. La plateforme, semblable à un secrétaire médical géant et surpuissant, permet à chacun de chercher par lui-même son propre médecin. Les filtres sont pléthoriques : spécialité, langue parlée, situation géographique, moyen de paiement… Chacun peut choisir son médecin à la carte, en fonction de ses attentes. En permettant aux quelques cinquante millions d’utilisateurs français inscrits sur la plateforme de maîtriser en grande partie la dimension logistique du rendez-vous, Doctolib simplifie et fluidifie le rapport au monde médical. Ainsi peut-on trouver le kinésithérapeute parfait à côté du travail et aller rapidement chez un généraliste entre deux rendez-vous. Grâce à la plateforme, le rendez-vous médical s’adapte aux impératifs de la vie quotidienne (et non l’inverse).

Petit à petit se dessine une transformation très profonde de ce que signifie être « patient ». Cela ne signifie plus être guidé, accompagné passivement pour recouvrer la santé, mais s’orienter soi-même, choisir avec soin celui ou celle qui prendra en charge la maladie. Selon la philosophe Céline Lefève, qui a participé à l’ouvrage collectif La Philosophie du soin (PUF, 2010), cette autonomie devrait être un droit accessible à tous. « Le malade devrait pouvoir choisir son médecin, parce qu’il ne peut être soigné, au sens strict du terme, que par celui dont il est assuré qu’il appréhende sa santé en fonction de l’accomplissement de sa liberté et de sa volonté », estime-t-elle. En plaçant la volonté et le choix du patient au centre, Doctolib rend possible, dans une certaine mesure, cette forme « d’élection » du médecin par un patient autonome. Le modèle privilégié est celui que Lefève appelle « le chef d’orchestre », par lequel chaque patient dirige et façonne son parcours de soin à sa guise et selon ses prérogatives.