“Comment puis-je éveiller mes enfants à la beauté ?” Charles Pépin répond à vos dilemmes
LE DILEMME DE VIRGINIE
« Je bataille avec mes enfants pour les exposer à de beaux films, à de belles peintures, à de belles musiques, à de la bonne nourriture, mais ils sont sans cesse attirés par la laideur. Que faire ? Pour avoir conscience de la beauté, faut-il rencontrer et connaître la laideur ? »
LA RÉPONSE DE CHARLES PÉPIN
Je commencerais, chère Virginie, par une question : qu’appelez-vous exactement « laideur » ? Vos enfants reconnaissent-ils cette laideur comme telle ou essaient-ils de vous convaincre de la beauté de cette « laideur » ?
S’ils jugent cette laideur belle et sont capables d’argumenter, et surtout s’ils argumentent en partant de leurs émotions, de leurs sentiments, et non de la norme en vigueur ou du goût dominant, alors je dirais que rien n’est perdu ! L’expérience esthétique commence en effet dès lors que le sujet est capable de s’écouter, de faire confiance à son libre jugement. C’est ce que montre Emmanuel Kant dans la Critique de la faculté de juger : lorsque nous affirmons que « c’est beau », nous nous référons à ce que la beauté crée en nous, non à des arguments objectifs. À partir du moment où vos enfants sont capables de poser ce type de jugement esthétique, d’affirmer que « c’est beau » en se référant à ce que la beauté leur fait – et non à ce qui « ferait » le beau objectivement –, je crois que vous pouvez déjà être rassurée. Cela signifie qu’ils ont un sens esthétique, et qu’ils pourront, plus tard peut-être être sensibles à d’autres types de beauté. Si vous craignez que leur jugement soit déterminé par la norme en vigueur dans leur classe d’âge ou par quelque effet grégaire, alors n’hésitez pas à leur demander ce que cette beauté leur fait, comment ils la reçoivent, s’ils sont bien à l’origine de leur jugement de goût. Bref, si vous voulez enseigner à vos enfants le sens du beau, apprenez-leur d’abord à être à l’écoute de leurs émotions, de leurs sentiments, plutôt que de leur présenter des œuvres « objectivement » belles. Vous pourriez d’ailleurs aussi vous demander quel est votre propre rapport à la beauté lorsque vous évoquez « de beaux films, de belles peintures ou de belles musiques » : s’agit-il là de votre goût ? D’un goût universellement reconnu ? C’est, je crois, davantage en vous référant à votre goût, à ce que la beauté vous fait à vous, plutôt qu’à un prétendu bon goût objectif ou universel, que vous pourrez être entendue de vos enfants – ou au moins les intriguer, leur donner envie d’aller y voir.
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