Des signes qui ne trompent pas
On se croit souvent plus jeune qu’on est, mais certaines manières d’être et de penser nous trahissent. Plus subtils que l’âge, ces indices ont été repérés par les philosophes classiques et nous aident à identifier l’effet du temps.
Conflits entre les générations, financement des retraites, difficultés liées au grand âge… On a suffisamment parlé du vieillissement accéléré des populations comme d’un problème, en France et dans le monde. Mais, au fond, quand devient-on vieux ? Est-ce seulement une question d’âge, une affaire biologique ou sociologique ? Rien n’est moins sûr, car il existe de vieilles âmes dans des corps jeunes, et inversement. Et il n’est d’ailleurs jamais trop tôt ni trop tard pour prendre un coup de vieux… certains l’ont ressenti douloureusement durant la pandémie. L’arrêt brutal de toute activité sociale et l’angoisse de la crise ont ridé les fronts, même les plus adolescents. Il ne suffit donc pas de constater qu’on s’essouffle dès qu’on monte un escalier, qu’on répète les mêmes histoires à ses proches ou qu’on ne sait pas utiliser les applications de base de son smartphone pour voir qu’on a vieilli. Peut-être y a-t-il, par-delà l’usure ressentie du corps et de l’esprit, d’autres signes, plus subtils et plus fondamentaux aussi, concernant le rapport à soi et aux autres, qui nous apprennent assez sûrement que la jeunesse s’est définitivement éloignée de nous. À partir de la réflexion et de l’expérience des philosophes, on peut se risquer à dégager quatre critères singuliers qui permettent de prendre conscience de son propre vieillissement… voire d’en tirer bénéfice pour le vivre le mieux possible !
1. Vieillir, c’est surestimer ses forces
On voit tout d’abord que l’on a vieilli quand on n’a pas pris conscience que l’écart entre ce qu’on croit pouvoir faire et ce qu’on arrive désormais à faire effectivement est devenu manifestement trop grand. Tel n’est pas le cas de Jean-Jacques Rousseau qui, dans ses Rêveries du promeneur solitaire (1782), critique la phrase de l’antique législateur athénien Solon : « Je deviens vieux en apprenant toujours. » Non, la lucidité oblige à se rendre compte qu’il y a un âge où l’on ne peut plus étudier et qu’il faut se « garantir du dangereux orgueil de vouloir apprendre ce qu’[on est] désormais hors d’état de bien savoir » (« Troisième promenade »). S’il est vrai, comme Rousseau l’a déjà écrit dans l’Émile (1762), qu’« on rétrograde en avançant », alors vient un temps où il faut renoncer à augmenter son savoir, comme apprendre de nouvelles langues ou se lancer dans des disciplines, telles que la médecine ou le droit, qui requièrent un intense travail de mémorisation, car « ces vains efforts usent la vie, et nous empêchent d’en user ».
Et si aujourd’hui, sur les conseils de la gériatrie, on peut s’exercer à entretenir la mémoire de ce qu’on a su pour ralentir sa propre sénescence – par exemple, en se récitant des poèmes ou en se remémorant la liste des capitales européennes apprises à l’école –, l’essentiel est sans doute ailleurs pour bien vieillir : méditer sur l’existence, tâcher de sortir de la vie « non meilleur, car cela est impossible, mais plus vertueux » qu’on y est entré. Rousseau témoigne de cette sagesse, lorsque, évoquant ses promenades régulières aux Invalides, l’une des ses « promenades favorites », il avoue ne jamais voir « sans attendrissement et vénération ces groupes de bons vieillards qui peuvent dire comme ceux de Lacédémone : Nous avons été jadis / Jeunes, vaillants et hardis », mais qui savent que cette époque de leur vie est révolue. Accepter avec sincérité le déclin de ses propres forces, comme le font ces blessés de guerre qui ont « conservé l’ancienne honnêteté militaire », c’est renoncer à vouloir entrer par le savoir dans un monde qu’on ne connaîtra pas pour mieux méditer sa propre expérience de la vie. Mais le risque d’un tel parti pris n’est-il pas alors de s’abandonner à une triste nostalgie ?
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