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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Décryptage

Dis-moi comment tu dis bonjour…

Michel Eltchaninoff publié le 17 septembre 2020 5 min

Nous avons dû réinventer nos manières de nous saluer en période de pandémie. Fini la sacro-sainte bise à la française, les serrages de main quotidiens et les accolades amicales. Vive les saluts venus d’Inde, de Chine ou d’Afrique, les checks les plus inattendus. Quel bonjour utilisez-vous ? Ce choix est révélateur de votre vision du monde et du rapport éthique entre les êtres. Les philosophes de l’école phénoménologique nous aident à y voir plus clair…

 

1/Le signe de la main

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Il faut d’abord distinguer deux tribus : ceux qui restent à distance et ceux qui acceptent ou réclament le contact. Ils forment deux écoles différentes. La première est celle du respect absolu de l’altérité. Son principal représentant est le phénoménologue du XXe siècle Emmanuel Levinas. Selon lui, alors que la philosophie occidentale a toujours eu tendance à assimiler l’Autre au Même, il faut pleinement reconnaître que l’autre personne restera distante de moi de manière irréductible. Alors que la prendre dans ses bras ou la couvrir de baisers mime un acte d’absorption, le salut de loin reconnaît pleinement l’altérité. Je ne pourrai jamais t’ingérer, te comprendre complètement, te ramener à moi semble dire le salut de la main. 

Accepter la séparation ne signifie pas prendre de la distance. Quand on secoue les deux mains en même temps de façon un peu trop frénétique, c’est vrai qu’on risque de manifester une certaine répulsion (surtout si votre interlocuteur s’apprête à vous sauter au cou). Mais le salut à distance exprime avant tout un respect pour l’altérité. En ce sens, il n’est pas un geste de rejet. Il est ce que Levinas appelle « un rapport éthique » (Totalité et Infini), en tant que je reconnais l’autre comme quelqu’un de libre : « l’étrangeté d’autrui, sa liberté même ». Il est « l’accueil de front et de face de l’Autre par moi ». Si on l’accompagne de paroles amicales, on peut même dire avec Levinas que « reconnaître Autrui c’est donner ».

 

2/Le salut à l’indienne

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C’est une version orientaliste et appuyée de l’hommage à l’altérité. Reproduisant le namasté (« bonjour » en sanskrit), il nous emmène en Inde. Mais on peut aussi y voir un approfondissement de la pensée de Levinas. Ce dernier, avec son exaltation de l’altérité, nous dirige en effet vers une dimension plus théologique. Ce qu’il appelle la transcendance de l’autre nous renvoie in fine à l’Autre dans sa plus pure acception : Dieu. Avec le geste de joindre les mains comme pour une invocation, avec la légère inclination de la colonne vertébrale, on reconnaît dans l’autre quelque chose qui nous dépasse tous les deux, le Grand Autre, transcendant, « jusqu’à l’absence » écrit Levinas, invisible et pourtant présent en filigrane dans toutes les relations éthiques entre les êtres. Vous l’avez compris : si vous optez pour le namasté, restez souriant et non violent… 

Une variante, plus zen, consiste à s’incliner devant son interlocuteur, à la japonaise. Ne descendez pas trop bas tout de même. Le garde-à-vous est plus martial, ou plus ironique. Si vos goûts vous portent vers le monde arabo-musulman, frappez doucement votre main sur le cœur. Là encore, pas de contact, respect total. Mais ce geste ne se dirige pas vers l’altérité de l’autre. Il vise votre centre vital, comme pour certifier la chaleur et la sincérité de vos intentions. Vous voulez votre Levinas à la sauce curry, soja ou harissa ? 

 

3/Le check du coude

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En provenance d’Afrique, durement touchée par l’épidémie d’Ebola, le contact des deux coudes convient à l’autre grande famille philosophique du salut, à ceux qui ne peuvent pas envisager de ne pas se toucher. Contrairement à Levinas, la relation entre les corps ne passe pas uniquement par le face-à-face et le regard, selon un autre phénoménologue, Maurice Merleau-Ponty. Elle accueille tous les sens, qui, pour Merleau-Ponty, se nouent en relation intercorporelles complexes. C’est en effet le corps qui nous unit aux choses. Ainsi, si nous restons irrémédiablement éloignés les uns des autres, sans aucun contact, le monde ne forme plus un tissu et se délite. Se toucher, même de manière minimale, permet de rétablir cette « chair du monde » qui nourrit la matière première du réel. Si « tout visible est taillé dans le tangible » (Le Visible et l’Invisible), alors nous ne pouvons pas ne pas nous toucher. Non seulement le contact me met en liaison avec le monde, mais il m’aide à me percevoir moi-même comme corps vivant, animé et projeté vers le monde. En plus, le coup de coude est un symbole de complicité !

 

4/Le check du pied

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Il paraît que le contact avec les pieds est apparu dans le Wuhan, région qui a vu apparaître le Covid-19. Si faire du pied en public perd son charme érotico-fétichiste d’antan (ce qui n’empêche pas de continuer à le faire discrètement sous la table), cette pratique se veut à la fois plus cool et plus prudente que le contact avec les parties supérieures du corps. Elle obéit pourtant à la même logique, celle de Merleau-Ponty : il faut se toucher pour faire monde. Mais tandis que le check du coude évoque la complicité et le travail en commun, celui du pied nous oriente vers la seule partie du corps en contact permanent avec le sol. En marchant, nous nous assurons que nous sommes bien sur la terre ferme, que le monde existe (encore). Dans La Terre ne se meut pas, le maître en phénoménologie de Levinas et Merleau-Ponty, le philosophe Edmund Husserl nous rappelle une vérité de l’expérience : même si nous savons, depuis l’école, que la Terre tourne sur elle-même et autour du Soleil, elle demeure, pour l’expérience corporelle que nous en faisons, un sol immobile, et finalement rassurant. Se toucher avec le pied, c’est faire la preuve corporelle que le sol ne s’est pas dérobé sous nos pieds à tous, et que la pandémie qui a bouleversé tous les habitants de la terre ne nous empêche pas de vivre et marcher ensemble. Toujours debout ! 

 

5/Le baiser fougueux

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Puisque faire la bise n’est plus autorisé, pourquoi ne pas se rattraper avec un long et langoureux baiser ? Pas avec n’importe qui, d’accord. Mais c’est l’unique occasion de faire de notre bouche un vecteur privilégié du rapport à l’autre. Puisque la bouche, instrument majeur de séduction, est désormais dissimulée par un masque, il faut bien qu’elle se rattrape ! Elle n’est plus érotique que dans l’acte quasi sexuel du baiser (à la française, please). Elle l’est d’autant plus que toutes les autres sont masqués. C’est le jeu de l’exception et de la transgression, mis en valeur par le philosophe et écrivain Georges Bataille. Selon lui, « l’interdit donne sa valeur propre à ce qu’il frappe », et le rend bien sûr d’autant plus désirable. Si donc « c’est la transgression de l’interdit qui envoûte », le Covid a au moins un effet bénéfique sur notre vie érotique : il rend toute son intensité au baiser. Et si vous embrassez quelqu’un qui ne s’est pas fait tester, le risque fait monter la température. Et s’il s’agissait d’un baiser fatal ? Bataille n’écrit-il pas encore : « De l'érotisme, il est possible de dire qu'il est l'approbation de la vie jusque dans la mort » ? 

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