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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Éloge du “topless”

Ariane Nicolas publié le 08 septembre 2023 4 min

« Voilà trois semaines que je suis rentrée de la plage et la nostalgie ne quitte pas mes claquettes fleuries, que je chausse encore le soir quand je rentre chez moi. Je n’avais pas lézardé sur le sable depuis dix ans et sans vouloir exagérer, c’était un ravissement. Non seulement parce que l’art de ne rien faire est ma spécialité, mais aussi parce qu’au bord de l’Atlantique et de son littoral sauvage – ne m’emmenez pas en Méditerranée par pitié – m’est présentée la seule occasion réelle de me mettre seins nus en public.

Une serviette à imprimé licorne, une couche de crème solaire, un monticule de sable en guise de coussin : le farniente est la preuve ultime que bonheur et sobriété sont compatibles. À raison d’un quart d’heure environ toutes les heures, j’ouvre un livre ou je joue à la belote en ligne, puis je retrouve ma position de gisante extatique, chapeau abaissé sur le visage à la Indiana Jones et jambes entrouvertes pour que l’intérieur des cuisses bronze bien. Quand le soleil tape trop, je pars me réfugier sous le parasol, tel un animal engourdi ; je me réhydrate puis je retourne exposer l’autre moitié de mon corps au soleil. Je peux passer des journées entières comme ça.

En lisant ces lignes, vous m’imaginez peut-être en maillot de bain, un une-pièce à nouer dans le cou ou un bikini multicolore. J’ai bien un maillot, c’est vrai. Mais… seulement en bas. Car à la plage, je suis volontiers seins nus. Ou disons plutôt, au risque d’une faute d’orthographe volontaire, que je suis “torse nue”, car je n’ai pas l’impression d’avoir des seins, à ce moment-là : je ne suis dévêtue ni pour allaiter ni pour une quelconque activité sexuelle. Je me sens plutôt comme un joueur de beach volley qui trimballe son poitrail au grand air. J’aime cette liberté, le fait de sentir le vent, les vagues, le sable toucher une partie de mon corps culturellement condamnée à l’ombre. À la plage, mon buste est la face B de mon dos, rien d’autre.

La pratique du topless est en net recul, en France. Selon un sondage, le nombre de femmes de moins de 50 ans le pratiquant a baissé de moitié en 40 ans : seules 25% tombent désormais le haut. Certes, il y a la peur – justifiée – du cancer de la peau, mais elle n’explique pas tout. La vérité, c’est que les femmes ne se sentent plus en sécurité : 64% des adeptes du topless disent avoir déjà été harcelées par des hommes, et même 44% agressées. Pourtant, à bien y réfléchir, les femmes “torse nues” ne font que mimer les hommes. Quand on se balade sur une plage où cette pratique est reine, c’est flagrant : la quantité de seins à vue efface la spécificité de la poitrine féminine. Ne porter que le bas du maillot devient banal, les femmes et les hommes s’indifférencient.

Pourquoi banaliser la vue des seins paraît-il si difficile ? Après tout, il y a de nombreuses sociétés où les femmes se promènent sans rien. Ce n’est donc pas un réflexe naturel que de vouloir les cacher. Dans son essai On Female Body Experience (2005), la phénoménologue Iris Marion Young consacre un chapitre à cette question : “La société tend à considérer que les seins d’une femme ne lui appartiennent pas, remarque-t-elle. La femme est un territoire naturel. Ses seins appartiennent aux autres – son mari, son amant, son bébé. Il est difficile d’imaginer les seins autrement que comme un objet soumis à évaluation et à échange.” La philosophe cite en contre-exemple des espaces lesbiens où les femmes vont torse nues : l’objectivation disparaît, “les seins deviennent alors presque une partie de leur visage”.

On pourrait considérer que montrer ses seins n’est pas un droit inaliénable. Certes, la vie en commun suppose du consensus et je ne milite pas pour que tout le monde se balade à poil. Mais le scandale suscité par la vue d’un téton féminin en dehors de la plage – pensons à cette polémique qui a agité un festival à Aurillac – me semble excessif. D’abord, il ne revient pas seulement aux hommes de fixer les normes de ce qui est jugé “sexualisable” dans l’espace public. En tant que femme hétérosexuelle, le torse d’un homme m’apparaît souvent comme érotique, et pourtant je ne m’évanouis pas de rage à chaque fois que je croise une bedaine dans un parc. Là où les hommes ont le droit de parader tétons nus, les femmes devraient pouvoir le faire aussi. Pourquoi ne pas suivre l’exemple berlinois, où le topless est admis dans les parcs et les piscines ?

Mais l’égalité devant la monstration du torse, qu’il soit féminin ou masculin, touche à quelque chose de plus fondamental encore. Dans son livre, Iris Marion Young note que “la poitrine (chest), abri du cœur, est un centre crucial de la vie d’une personne. Je peux localiser ma conscience dans ma tête, mais mon Moi, mon existence comme personne présente au monde, part de ma poitrine […] Quand je parle de moi, je pointe ma poitrine, pas mon visage”. Être obligée de cacher ses seins, c’est être obligée de se cacher soi, tout court. C’est s’effacer comme individue – osons cette autre faute d’orthographe. À une époque où les injonctions puritaines assaillissent les femmes de toute part, ce rappel m’apparaît salutaire. Femmes, n’ayons pas peur de bomber le torse ! »

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