Étienne Klein : “Je ne pensais pas que nous verrions l'image de ce trou noir un jour”

Après l’observation du trou noir de la galaxie M87 en 2019, nous avons fini par obtenir une photographie de Sagittarius A*, le trou noir supermassif situé au centre de notre galaxie, la Voie lactée. Qu’est-ce que cela nous apporte ?

Étienne Klein : Nous ne pouvons pas stricto sensu parler de « photographie » du trou noir, car un trou noir est censé ne pas émettre de photons : du moins ceux qu’il émet sont-ils ramenés en son sein par la très forte courbure de l’espace-temps qui règne en son voisinage, de sorte qu’il apparaît noir sur l’image. Ce que nous voyons, c’est une image de la matière alentour qui va être absorbée par le trou noir et qui, elle, rayonne : elle tourne autour de lui à une vitesse proche de celle de la lumière, s’échauffe et émet une lumière que nous captons sous forme d’ondes radio. Je ne pensais pas que nous verrions cela un jour. En 2019, le trou noir de M87 que nous avions capté était bien plus gros, mais aussi beaucoup plus lointain, si bien que l’apparence angulaire était à peu près la même que pour Sagittarius A*. Dans les deux cas, cela revient à observer depuis la Terre une orange qui serait posée à la surface de la Lune. La différence, c’est que notre trou noir est au centre de notre galaxie, la Voie lactée, et qu’entre lui et nous, il y a toutes sortes de poussières et de gaz qui s’interposent, de sorte qu’il est impératif de nettoyer le signal de toutes les influences qu’il a pu subir sur son trajet. C’est en cela que le travail des chercheurs a été remarquable. De plus, comme aucun télescope au monde n’a la résolution angulaire exigée pour saisir l’image d’un tel objet, ils ont dû faire ce qu’on appelle de l’interférométrie, avec plusieurs radiotélescopes répartis sur quatre des cinq continents. Cela leur a permis de créer une sorte de super-télescope dont le miroir aurait le diamètre de la Terre… Mais pour ce faire, il a fallu sans cesse mesurer les écarts de positions entre les antennes au millimètre près, sachant que les plaques terrestres bougent et que l’un des observatoires est situé en Antarctique, sur une calotte glaciaire qui glisse en permanence. L’exploit de cette image de Sagittarius A*, c’est donc surtout l’analyse ultrafine d’une quantité colossale de données…

“Pour M87* comme pour Sagittarius A*, cela revient à observer depuis la Terre une orange qui serait posée à la surface de la Lune” Étienne Klein

Résultat : notre trou a la même tête que celui qui trône au milieu de M87, dévoilé en 2019.