Foucault / Manet. L’éclat de la matière
Pour Michel Foucault, Manet n’est pas seulement le précurseur de l’impressionnisme. C’est toute la peinture moderne que son œuvre provocatrice a rendue possible. La preuve par quatre tableaux, à voir dès le 5 avril au musée d’Orsay
Et si Manet (1832-1883) n’était pas le peintre que l’on croit connaître ? Dans l’histoire de l’art, il est généralement présenté comme l’homme par qui le scandale arrive, celui qui ose rompre avec l’académisme tant par le choix de sujets profanes (les lieux et les scènes de la vie quotidienne parisienne, par exemple) que par la violence de ses contrastes de couleurs. On le considère également comme le précurseur de l’impressionnisme, pour des raisons techniques et biographiques : il s’affranchit progressivement de la peinture d’atelier, jugée superficielle, pour mieux capter la lumière réelle et restituer le visible dans son évanescence (« J’ai fait ce que j’ai vu », dira-t-il). Admiré de Renoir, il est l’ami proche de Monet et avant que l’étiquette d’« impressionnistes » s’impose, on parle de la « bande à Manet » pour évoquer les peintres du nouveau courant.
Dans deux documents aujourd’hui (re)publiés (lire l’encadré ci-dessous), Michel Foucault ébranle ce digest de Manet, dont l’œuvre l’a toujours passionné. Pour le penseur, cantonner le peintre au rôle de parrain de l’impressionnisme est insuffisant. Il faut aller plus loin et sauter une étape : « Ce que Manet a rendu possible, c’est toute la peinture d’après l’impressionnisme, c’est toute la peinture du XXe siècle » (La Peinture de Manet). En quelque sorte, pour Foucault, Manet enjambe Monet. Lui qui fut également un intime de Baudelaire – et de Mallarmé – est éminemment moderne, mais sa modernité immédiate est « non impressionniste ». Il est au seuil d’une rupture qui mène directement à la peinture non-figurative.
La thèse n’est pas nouvelle. Malraux et Bataille avaient déjà tenu Manet pour le préfigurateur de la peinture pure. Cependant, Foucault s’engouffre dans cette brèche avec ses propres préoccupations philosophiques. Dans le premier chapitre des Mots et les Choses, paru en 1966 (au moment même où s’affirme l’intérêt pour Manet), il propose une analyse magistrale des Ménines de Vélasquez : pour Foucault, ce tableau inaugure et cristallise le règne à l’âge classique de la « pure représentation ». Or, si, avec Vélasquez, on entre dans la représentation, avec Manet, on commence à en sortir dans le domaine esthétique. L’œuvre du peintre constitue un moment charnière, à la croisée des chemins de l’art : elle demeure représentative, mais elle offre « la condition fondamentale pour que finalement un jour on se débarrasse de la représentation elle-même » (La Peinture de Manet). Pourquoi ? Selon Foucault, Manet invente le « tableau-objet ». Chez lui, le « sujet » ou le thème représenté a moins d’importance que la manière d’investir la toile, conçue comme un objet concret et un « espace autonome » avec ses lois de composition propres (Le Noir et la Surface). Dans ses commentaires de tableaux, Foucault développe les différents aspects de ce basculement décisif vers la souveraineté et la matérialité du peint. À l’heure où s’ouvre au musée d’Orsay la première grande exposition consacrée au peintre depuis plus de vingt-cinq ans, suivons et écoutons le guide Foucault.
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