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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Histoire de famille(s)

Michel Eltchaninoff publié le 05 février 2024 4 min

« Connaissez-vous Dominique Venner ? C’est une figure de l’extrême droite française, qui s’est tiré une balle dans la tête dans la cathédrale Notre-Dame-de-Paris en 2013 pour protester contre la décadence. Le journaliste Renaud Dély retrace la vie de celui qui se considérait comme le Mishima français dans un livre qui vient de paraître, L’Assiégé (JC Lattès, 2024). En achevant de lire ce passionnant portrait, je me suis posé une question troublante : et si l’histoire, la grande, était en réalité une histoire de famille, de fidélité à ses parents et ses aïeux ?

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Dominique Venner, amoureux des armes, engagé en Algérie et plus radical que l’OAS, militant révolutionnaire ultra-nationaliste, néo-païen raciste et antisémite, écrivain contempteur de la modernité, a inspiré Jean-Marie Le Pen avant de fasciner les jeunes identitaires d’aujourd’hui. Son suicide à Notre-Dame en a fait, pour certains, un martyr de l’Europe blanche. Mais ce qui m’a frappé, c’est le récit que fait Renaud Dély de son enfance. Son père, architecte spécialisé dans la construction d’églises, était membre du Parti populaire français de Jacques Doriot, résolument collaborationniste. Sa mère avait été décorée par le maréchal Pétain. Sa grand-mère s’extasiait à la vue de la correction et de la discipline des occupants allemands. Si Dominique Venner a exécré la Libération et a voulu combattre la démocratie, le communisme et les étrangers, c’est pour rester fidèle aux siens. Au fond, son engagement est un legs familial, un devoir sacré de piété filiale.

J’ai rencontré plusieurs descendants de collaborateurs. Certains m’ont confié avoir vécu dans une culpabilité plus ou moins diffuse, qui les a accompagnés toute leur vie. D’autres, après les précautions d’usage, ont fini par revendiquer leur dévouement à cet héritage. Tel membre éminent du Rassemblement national me racontait l’adhésion d’un de ses parents à l’Action française de Charles Maurras, refusait de voir qualifiés de traîtres “ceux qui, de bonne foi, avaient suivi le gouvernement du Maréchal, légalement investi”. Il théorisait même son déterminisme familial : “Les hommes ne naissent pas libres. Rien de plus captif qu’un nouveau-né ! Il est tributaire de ses parents. Le fait de s’inscrire dans une tradition, c’est nouer une chaîne avec les générations qui ont précédé et qui suivront.” Une autre de mes connaissances, bien plus jeune, était fière d’un aïeul ayant participé au régime de Vichy. Elle clamait par ailleurs la supériorité de la peinture occidentale sur le jazz ou l’art africain. Je me disais en l’écoutant : “Les chats ne font pas des chiens.”

Je me suis répété plusieurs fois cette maxime apparemment bébête en rencontrant des petits-enfants, très à gauche, de résistants communistes, des descendants de dissidents soviétiques devenus les plus ardents opposants à Vladimir Poutine, ou des petits-fils d’agents du KGB travaillant eux-mêmes… au FSB. Et si l’histoire, finalement, n’était qu’une histoire de famille ? Les philosophes l’ont décrite, abstraitement, comme la marche en avant du progrès (Condorcet), l’avancée vers un horizon de paix perpétuelle (Kant), la lutte des classes pour la révolution (Marx), l’avènement de l’esprit scientifique (Comte), etc. Alors qu’au fond, elle se vit très concrètement dans le désir des enfants de demeurer fidèles à des parents qu’ils ont toujours admirés, de poursuivre leur œuvre, si possible en mieux. Le tableau change ainsi du tout au tout. L’histoire de France n’est peut-être qu’une lutte acharnée entre lignées, le combat de deux mémoires et de deux projets. L’extrême droite d’aujourd’hui veut réhabiliter ses ancêtres collaborateurs ou partisans de l’Algérie française, quand les descendants de la Commune de Paris ou des luttes sociales entendent poursuivre leur mission. Les petits-enfants de dissidents affrontent, dans les pays autoritaires, les rejetons de leurs anciens bourreaux…

Cette lecture familialiste de l’histoire est évidemment beaucoup trop simple, car beaucoup d’enfants prennent la tangente, se révoltent, réinventent leurs allégeances, distribuent leurs admirations. Heureusement, le dignitaire frontiste que je citais plus haut a tort : on n’est jamais obligé de suivre la voie tracée par les anciens. Cependant l’exemple de cet affreux Dominique Venner et de bien d’autres descendants du fascisme, du communisme, de la résistance, etc., rappelle que dans nos choix et nos engagements, il y a une part de passivité et d’affectivité. Cette part charnelle échappe parfois à notre volonté, ou au moins s’y oppose. Cela n’excuse absolument rien. Mais cette dimension passive de l’histoire, je crois, doit être prise en compte, au moins pour comprendre qu’il existe des hostilités invincibles, des antagonismes incrustés – et donc que le bruit et la fureur ne s’éteindront pas de sitôt. »

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