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Jean Malaurie reçoit la médaille d’honneur de la ville de Strasbourg (67), le 23 mai 2013. © Claude Truong-Ngoc/Wikimedia Commons

Entretien

Jean Malaurie : “Renaître au pôle”

Jean Malaurie, propos recueillis par Sven Ortoli publié le 26 août 2009 14 min

Ethnologue, explorateur, géologue, intellectuel engagé, Jean Malaurie a su faire partager son amour du Grand Nord et de ses habitants. Créateur de la collection « Terre humaine » qui a révolutionné l’anthropologie, il a publié Tristes Tropiques de Lévi-Strauss en 1955. Loin d’un rationalisme asséchant, il a opté toute sa vie pour un rapport au monde et aux peuples ouvert et généreux.

 

C’est un homme qui n’aura eu de cesse de combattre les méfaits de la rationalité étroite. Appliquée à l’économie, cette dernière justifie la destruction de l’écosystème terrestre par la perspective de profits à court terme. Dans le monde universitaire, le scientisme conduit à laisser de côté les hommes et les peuples. Sur le plan existentiel aussi, les conduites strictement rationnelles assèchent le rapport au monde et nous dissuadent de méditer sur nos fins dernières… « L’art est fait pour troubler, la science rassure », c’est la citation de Georges Braque dont il nous fait cadeau, en dédicaçant son maître livre, Les Derniers Rois de Thulé, à l’issue de notre rencontre. Jean Malaurie est né en 1922. Explorateur, il a relevé la carte du Groenland sur trois cents kilomètres, de la terre d’Inglefield au nord du glacier de Humboldt ; il est le premier Européen à avoir atteint le pôle géomagnétique nord sur un traîneau conduit par des chiens ; il a mené une expédition scientifique sur un mystérieux site sibérien découvert en 1977, l’Allée des baleines. Intellectuel engagé, il a rejoint la résistance sous l’Occupation, puis mené jusqu’à aujourd’hui un combat inlassable, notamment comme ambassadeur de l’Unesco, en faveur de la reconnaissance des droits des minorités arctiques – ce qui lui a valu cette année de se voir remettre, privilège rarissime pour un étranger, le nersornaat, la grande médaille d’or du parlement et plus haute distinction groenlandaise. Géologue, il a fondé une discipline étrange, la science des éboulis ou « éboulologie ». Ethnologue, il a partagé la vie des Inuits et leur a consacré l’essentiel de son œuvre. Éditeur, il a fondé la collection « Terre humaine » et publié Tristes Tropiques de Claude Lévi-Strauss, en 1955. Jean Malaurie est toujours bouillonnant de projets, infatigable. Nous l’avons rencontré sur la côte normande, l’été dernier, entre un séjour au Groenland et un passage à Paris pour réviser les épreuves de son prochain livre, une somme monumentale sur la sagesse écologique des Inuits, à paraître chez Plon en 2010. Il a pris le temps de revenir, avec nous, sur son parcours hors norme.

 

Dans le monde scientifique, l’intérêt pour les peuples du Nord est assez rare. Comment l’expliquez-vous ?

Jean Malaurie : L’affaire polaire a été mal engagée, en France notamment, car la tendance a toujours été d’accorder les budgets, de préférence, aux « sciences dures ». L’Antarctique a été privilégié excessivement par rapport à l’Arctique. Nous sommes dans l’hémisphère Nord, et les problèmes géopolitiques sont décisifs dans l’Arctique américain, eurasiatique, et jusqu’au pôle. La Sibérie, mal connue, est un des berceaux de l’histoire de l’homme. Géomorphologue de formation, je souhaite privilégier une approche qui va de la pierre à l’homme dans un concept anthropogéographique trop longtemps négligé, voire ignoré, pour les peuples premiers arctiques. Fernand Braudel ou Lucien Febvre rêvaient d’une « histoire totale », étudiant les cycles des civilisations sur le très long terme. Je suis partisan d’une « géographie totale », dans laquelle la géologie, la climatologie et l’anthropologie seraient intégrées. Mes maîtres sont Emmanuel de Martonne, qui a dirigé l’Institut de géographie, mais aussi l’Autrichien Eduard Suess, l’auteur du fascinant Das Antlitz der Erde (« la face de la Terre »). En outre, j’ai beaucoup appris auprès des Inuits. Il peut paraître étrange que ces mangeurs de chair crue m’aient été d’une aide précieuse dans l’élargissement de mes connaissances. Pourtant, ils ont modifié ma vie et mon regard. Mes maîtres, je pourrais aussi parler des ours, de la glace, du vent… Ma tombe sera là-bas, parmi eux.

 

«Faire profession d’intelligence engage avec
les écrits.
Pas de théorie
valable sans
une vie qui
en soit digne»

 

 

Reprenons depuis le commencement : comment se sont passées votre jeunesse et votre formation ?

Je suis né en 1922, à Mayence, en Allemagne, dans une famille d’universitaires française, bourgeoise et catholique. Très jeune, j’ai été imprégné par la culture allemande, dont la mythologie n’est pas sans rapport avec celle du Nord : la Naturphilosophie de von Baader et de Goethe. Mais j’étais un enfant en retrait, en attente d’une autre existence. J’ai fait mes études au lycée Henri-IV et j’y ai préparé le concours de l’École normale sous l’Occupation. En 1943, Laval a mis en place le service du travail obligatoire (STO). Ma génération était sacrifiée ; nous étions livrés à l’Allemagne nazie et à ses camps de travail. Vous n’imaginez pas la lâcheté des services français ; plus grave, des professeurs : pas un seul n’a osé le moindre commentaire sur ce décret. Pour moi, c’était intolérable. Au lieu de me rendre à l’appel, je suis devenu réfractaire-résistant, circulant avec de faux papiers. J’ai réfléchi : à quoi sert l’intelligence ? Mes professeurs, l’Académie française, les membres de l’Institut : silence. La majorité des intellectuels se pelotonnait dans l’inaction, voire dans la collaboration. Or, je regrette ! faire profession d’intelligence engage avec les écrits. Pas de théorie valable sans une vie qui en soit digne.

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