“La baisse de la fécondité dans le monde est surtout liée aux inégalités hommes-femmes”

La démographie française est à l’image de la démographie dans le monde, en pleine mutation, avec un ralentissement des naissances dans de nombreux pays. Pour le démographe Gilles Pison, auteur de L’Atlas de la population mondiale (Autrement, 2023), les pays qui maintiennent une fécondité haute après leur transition démographique sont ceux qui parviennent à concilier famille et emploi. Entretien.

La fécondité était de 5 enfants en moyenne par femme dans les années 1960 au niveau mondial. Elle est de 2,3 enfants aujourd’hui. Est-ce que nous pourrions tomber sous le seuil de renouvellement des générations ?

Gilles Pison : Une faible fécondité ne signifie pas nécessairement que la population décroît. L’Inde, par exemple, est en dessous du seuil de renouvellement, mais sa population continue d’augmenter en raison de l’inertie démographique. La population comprend en effet une proportion importante d’adultes en âge d’avoir des enfants, nés lorsque la fécondité était encore forte, ce qui entraîne un nombre élevé de naissances. Les personnes âgées ou très âgées sont en revanche peu nombreuses, et le nombre de décès est faible. L’Inde devrait atteindre 1,7 milliard d’habitants au milieu du siècle (contre 1,4 aujourd’hui). L’inertie démographique explique aussi pourquoi la Chine vient seulement d’atteindre son pic de population. 2022 est la première année où il y a plus de décès que de naissances, alors que cela fait trente ans que le pays est sous les deux enfants par femmes (1,2 aujourd’hui). Au niveau mondial, on observe le même phénomène. Dans le scénario moyen des Nations unies, la fécondité continuerait de baisser jusqu’à 2,1 en 2050 pour l’ensemble de la planète, puis 1,85 à la fin du siècle. Cette diminution n’empêche pas la population mondiale de continuer à augmenter, certes de moins en moins vite, jusqu’à atteindre un maximum d’un peu plus de 10 milliards d’êtres humains dans les années 2080 avant de diminuer ensuite. Le gros de l’accroissement va se concentrer en Afrique, au Moyen-Orient et dans une bande en Asie allant du Kazakhstan au Pakistan, en passant par l'Afghanistan. Plus d’un tiers de la population vivra probablement en Afrique à la fin du siècle.

À l’inverse, une forte fécondité n’est pas non plus synonyme d’accroissement de la population…

Tout à fait. Jusqu’à il y a deux siècles, les femmes mettaient au monde cinq à six enfants en moyenne chacune partout dans le monde, mais la majorité mourait dans l’enfance, et la population n’augmentait pas ou seulement faiblement. Au milieu du XVIII^e siècle, en France, la moitié des enfants n’atteint pas 10 ans. Au XIXe siècle, en Europe et en Amérique ont fait que les enfants survivaient davantage, au point qu’ils devenaient une charge : il fallait les nourrir, les habiller, les éduquer. Un nouveau comportement s’est alors répandu : la limitation volontaire des naissances. Le nombre d’enfants par femme a diminué. Ces changements, que l’on appelle la transition démographique, et qui ont touché aussi les autres continents plus tard, aboutissent à terme à une forme de stabilité avec peu de naissances et peu de décès. L’Asie est à 1,9 enfant par femme, l’Amérique latine à 1,8, l’Europe à 1,5. Et si la moyenne mondiale est à 2,3, c’est notamment en raison de la fécondité encore élevée en Afrique, un peu plus de 4 enfants par femme aujourd’hui. Mais, là aussi, elle a tendance à baisser.