La matière est-elle consciente ?

Philomag vous propose chaque semaine une sélection d’articles parus dans la presse française et étrangère. Des articles qui nous ont surpris, questionnés, dérangés. L’occasion de découvrir de nouveaux points de vue sur le monde et les événements qui font l’actualité.

Cette semaine : le problème des rapports entre la matière et l’esprit. Avec la prise en compte croissante des « êtres non-humains », la conscience apparaît de moins en moins comme le monopole de l’homme. Faudrait-il aller, comme le suggère le panpsychisme, jusqu’à dire que toute matière est douée d’esprit ? Ouvrons nos chakras…

Anil Seth : « La conscience des vivants est une lutte contre l’entropie »

La conscience est un « mouvement contre l’entropie » qui caractérise la vie : telle est la position défendue par le Britannique spécialiste en neurosciences Anil Seth dans son prochain livre Being You: A New Science of Consciousness, dont il explique les grandes lignes à Quanta Magazine (en anglais) : « Un système vivant se maintient en tant qu’il est séparé de son environnement. Je ne me réduis pas en bouillie sur le sol. C’est un processus actif : je prends de l’énergie pour me maintenir comme un système [doté de] ses frontières avec le monde. » La vie résiste sans arrêt à la seconde loi de la thermodynamique – la dissipation constante de l’énergie. Quel rapport avec la conscience ? « Pour maintenir […] le corps en vie, le cerveau utilise des modèles prédictifs. […] L’argument que je développe dans mon livre est que toutes nos expériences conscientes découlent de ces modèles prédictifs » nécessaires pour contenir et organiser le processus vital.

Matthew Rozsa : « Le panpsychisme pose la question du degré de conscience des non-humains »

Dans le magazine Salon (en anglais), l’historien américain Matthew Rozsa revient sur un concept qui gagne depuis quelques années en popularité : le « panpsychisme ». Comprenez : « L’idée que la matière, en général, est consciente, qu’elle soit ou non organique » et que « la conscience est inextricablement liée à toute matière et devient simplement plus forte à mesure qu’un objet physique devient plus complexe ». L’idée vous semble étrange ? Elle l’est sans doute déjà un peu moins si l’on distingue conscience et conscience de soi. Une pierre n’est pas, sans doute, consciente d’elle-même. Faut-il pour autant lui refuser toute forme d’esprit ? S’il ne résout pas la question de « ce qu’est la conscience », le panpsychisme a le mérite de contourner un problème que notre mode de pensée « dualiste » n’a jamais réussi à résoudre : comment apparaît la conscience ? Dès lors que toute matière est consciente, il n’est plus besoin de se poser la question d’un saut. La différence est seulement de degré, pas de nature. 

Joe Gough : « L’esprit n’existe pas »

« Les termes “esprit” et “mental” sont incohérents, nocifs, ils nous égarent. Il faudrait s’en débarrasser. » Dans un essai à dessein provoquant paru sur le site Aeon (en anglais), le philosophe anglais Joe Gough s’attaque de front à certaines des notions les plus fondamentales – et problématiques – de notre tradition de pensée. « Imaginez que vous souffrez de douleur chronique. […] Après quelques tests et quelques questions, on vous signifie finalement que votre douleur chronique est une maladie mentale, et l’on vous confie à un psychiatre [qui] ne prescrira pas de médicaments ou de chirurgie, mais une psychothérapie. » Peut-être est-ce la bonne solution. Mais cette manière de catégoriser la douleur comme un problème « mental » vous causera peut-être un surcroît de peine : « Le problème fondamental, c’est est que l’“esprit” et le “mental” sont mis en opposition avec “réel”, “biologique” et “physique”. » Nous devons surmonter cette opposition si nous voulons prendre en charge, correctement, la douleur sous toutes ses formes, sans distinction limitante.