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© Olivier Bramanti pour PM

Le mystère des enfants sorciers

Tobie Nathan publié le 05 octobre 2012 17 min

Originaires d’Afrique centrale, ils sont accusés de lancer des maléfices à leurs proches ou de les dévorer. Pour l’ethnopsychiatre Tobie Nathan, il ne s’agit pas d’un archaïsme délirant mais d’une invention moderne.

La première fois que j’ai entendu parler « d’enfant sorcier », ce devait être en 1987, ou peut-être en 1988, à l’hôpital Avicenne, à Bobigny, en région parisienne. Un gamin de 8 ans – appelons-le Thyeste –, fraîchement arrivé de Brazzaville, avait été conduit dans un premier temps aux urgences, parce qu’il portait sur le bras la marque d’un fer à repasser, parfaitement visible, y compris les trous pour diffuser la vapeur. Curieusement, le médecin des urgences avait accepté la version de « l’accident ». Mais il avait exigé en urgence une consultation d’ethnopsychiatrie. Notre consultation n’avait lieu qu’une fois par semaine. En attendant, l’enfant put bénéficier, sur-le-champ, de l’aide d’un psychologue congolais, encore stagiaire chez nous à l’époque. Le psychologue s’était rendu au domicile de la famille, avait eu un long entretien avec l’enfant et pu discuter avec l’épouse du frère aîné. Le psychologue, pourtant lui aussi originaire de Brazzaville, revint de sa visite profondément déstabilisé. Il n’avait jamais entendu un tel aveu. L’enfant, un jeune garçon apparemment dépourvu de pathologie psychiatrique, lui avait déclaré très sérieusement en le regardant dans les yeux : « J’ai mangé mon petit frère. » Plus encore, l’épouse du frère lui avait confié une cassette audio, enregistrée en public, en lingala, la langue véhiculaire du Congo, dans une église évangélique de la région parisienne. L’enfant y avait été plus précis encore : « J’ai introduit une bouteille dans le ventre de Célestin, avait-il expliqué. C’est depuis ce moment qu’il est tombé malade. » D’après ce que nous avons pu reconstituer par la suite, voici comment s’étaient déroulés les faits. Le petit Célestin, l’enfant du couple, âgé de 18 mois, pleurait sans discontinuer depuis près de vingt-quatre heures. Rien ne parvenait à le calmer. Il s’endormait épuisé par ses pleurs et se réveillait moins d’une heure plus tard en hurlant de plus belle. Les médecins appelés au domicile diagnostiquaient de vagues troubles alimentaires, sans fournir de thérapeutique efficace. Nous ne sûmes pas par quels chemins les soupçons s’étaient tournés vers le petit Thyeste. Hébergé chez son grand frère âgé d’une trentaine d’années depuis le décès de leur père survenu six mois plus tôt au Congo, l’enfant ne posait aucun problème. Tranquille, obéissant, intelligent et travailleur, il réussissait bien en classe. Mais, durant la crise de Célestin, la maman l’avait interrogé. C’est à ce moment qu’il avait avoué. Oui ! Il avait introduit une bouteille de sorcellerie dans le ventre du bébé. Une bouteille magique, arrivée là par des « moyens mystiques ». « Sors-la ! » lui avait ordonné la mère. Et il avait refusé de l’extraire. Elle l’avait battu. Il refusait toujours. C’est alors qu’elle l’avait brûlé avec le fer à repasser. Pour le contraindre à réparer le mal qu’il venait de commettre.

L’ambiguïté dans ce type de situations – nous le comprendrons bien plus tard – provenait du fait que nous nous occupions de l’enfant désigné « sorcier », alors que, pour la famille, la personne en souffrance était le bébé. Quant au reste de la famille, le frère, son épouse et les autres, ils constituaient un groupe de victimes potentielles particulièrement en danger, que nous aurions dû protéger, alors que nous consacrions toute notre énergie à soutenir le petit Thyeste.

Cette première histoire remonte à près de vingt-cinq ans. Des cas pareils n’avaient pas encore été répertoriés – du moins pas à ma connaissance. Au Congo, l’épidémie d’enfants sorciers débutait à peine. Les services sociaux, peu habitués à ce genre de phénomènes, ont été pris de court. Aujourd’hui, le signalement au juge serait immédiat et les deux parents mis en examen sur-le-champ. Je dois dire que la prise en charge de Thyeste s’est déroulée au mieux. Au bout de six mois, il put quitter le foyer où il avait été placé d’urgence pour rejoindre l’appartement de son frère aîné. Je me souviens de la mauvaise humeur du grand frère lorsqu’il apprit le retour prochain du petit Thyeste. « Oui, je sais, m’a-t-il dit, il fait semblant d’avoir renoncé à la sorcellerie. Tant qu’il se saura observé, il se tiendra tranquille. » Puis, m’apostrophant vivement : « Tu ne seras plus là lorsqu’il aura 18 ans et qu’il nous mangera les uns après les autres… »

 

Une magie oubliée, mais toujours vivante

L’anthropologie nous avait enseigné l’importance tant de la magie que de la sorcellerie dans les sociétés que nous désignions alors comme « traditionnelles ». Dans ma génération, deux textes constituaient des jalons incontournables, celui de Marcel Mauss sur la magie et celui d’Evans-Pritchard sur la sorcellerie des Azandé, une ethnie d’Afrique centrale. Nous les avions tellement étudiés que nous les connaissions presque par cœur. Mais nous gardions, ancrée en nous, la conviction que de tels phénomènes, magistralement décrits par les maîtres du passé, certes encore intensément vécus par certaines populations, disparaissaient peu à peu avec la modernité, c’est-à-dire le développement économique et social, l’urbanisation, la scolarisation et le succès des grandes religions monothéistes. C’est donc avec une certaine distance que nous avons considéré le discours sorcier de cette famille. Il faut dire que, dans les années 1980, nul ne parlait alors d’enfants sorciers.

« J'ai introduit une bouteille dans le ventre de Célestin. C'est depuis ce moment qu'il est tombé malade »

Thyeste,  8 ans

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