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Le pape François au Vatican, le 7octobre 2020. © Filippo MONTEFORTE / AFP

Décryptage

Le pape François est-il un (bon) lecteur de Ricœur ?

Nicolas Tenaillon publié le 20 octobre 2020 4 min

La dernière Encyclique du pape, baptisée « Fratelli tutti » (« Tous frères »), est parue le 4 octobre, jour de la Saint-François. Elle fait grand bruit tant elle critique le système libéral mondialisé. Le cœur philosophique de son propos se situe au paragraphe 102, dans lequel le pape cite la célèbre parabole du « bon Samaritain », dans l’Évangile de Luc. Le souverain pontife s’appuie sur l’interprétation qu’en donne le philosophe protestant Paul Ricœur pour dénoncer notre aveuglement à l’égard des plus faibles. Le « prochain » qui souffre ne compte aujourd’hui que s’il est identifié comme l’un des nôtres. Pour qu’il attire notre regard, il faut que nous le reconnaissions, dit le pape, comme un « partenaire » potentiellement utile. Sinon, nous ne le voyons pas et nous passons notre chemin. Mais la lecture du pape François est-elle fidèle à ce que Ricœur enseignait dans son livre Histoire et Vérité (1955) ? Peut-on prendre soin d’autrui en ignorant tout de lui ? Dans les situations concrètes, notre altruisme peut-il s’affranchir de tout préjugé culturel ? Ce n’est pas si simple. 

La parabole du bon Samaritain relue par le pape François

  • Cette parabole dit qu’un homme attaqué sur la route de Jéricho par des brigands et abandonné à demi-mort est d’abord ignoré par un prêtre venant de Jérusalem, puis par un Lévite [membre de la tribu de Lévi, spécialisé dans le service du Temple] mais pas par un voyageur membre de la communauté des Samaritains, qui lui prodigue les premiers soins, l’amène à une auberge et, avant de reprendre son chemin, donne de l’argent à l’aubergiste pour qu’il s’occupe du blessé. Jésus raconte cette parabole pour répondre à la question : « Qui est mon prochain ? » 
  • Le pape François rappelle qu’à l’époque de Jésus, le prochain désignait le coreligionnaire, ce que n’étaient pas les Samaritains pour les Juifs qui les détestaient depuis des siècles parce qu’ils avaient abandonné le culte de Dieu pour adopter des rites païens. Mais Jésus aurait transformé radicalement cette définition : le prochain n’est pas celui qui appartient au même groupe que moi, il est « l’étranger » à l’égard duquel il faut « se faire prochain », en franchissant « toutes les barrières culturelles et historiques ».
  • Le pape, s’étonnant qu’à partir d’un tel message « il s’en trouve encore qui semblent se sentir encouragés, ou du moins autorisés, par leur foi à défendre diverses formes de nationalisme », appelle les chrétiens et tous les hommes de bonne volonté à « être comme le bon Samaritain », à promouvoir une société ouverte à tous, à ne pas « vivre comme des îles ».

Ce qu’en dit Paul Ricœur

  • Dans le chapitre « Le socius et le prochain » de Histoire et Vérité, Paul Ricœur voit dans l’attitude du bon Samaritain, qui se détourne de son chemin pour venir en aide au blessé le choix d’une attitude « d’homme à homme », d’où il déduit que « le prochain, c’est la manière personnelle dont je rencontre autrui par-delà toute médiation sociale ». Et il constate, comme le pape aujourd’hui, que nous vivons dans un « monde sans prochain ». Catégorie périmée aux yeux du monde moderne, le prochain, « homme du regret, du rêve, du mythe », aurait été remplacé par le « socius », « homme de l’histoire » ce que le pape appelle « le partenaire ». 
  • Pourtant, selon Ricoeur, ces deux catégories ne s’excluent pas car c’est à la fois comme prochain et comme socius que l’homme appartient à l’Histoire. Un humanisme fondé sur une philosophie de la rencontre « directe » avec autrui aurait le tort de nier que les « médiations » participent du juste rapport à autrui. Ces médiations, comme la technique ou les institutions, sont aussi ce qui rapproche les hommes. Autrement dit la charité n’ignore pas le négatif : c’est bien souvent au travers du tragique d’une condition commune, comme celle à l’époque où Ricœur écrit son article, de « l’exploitation coloniale ou de la discrimination raciale » que la charité trouve à s’exercer. Le bon Samaritain, méprisé culturellement par les Judéens, ne trouve-t-il pas alors dans l’homme blessé son semblable ? Dans ces conditions, comment voir en lui un modèle universel ?

La rencontre comme culture

  • Loin d’ignorer la dimension historique qui conditionne les relations humaines, le pape François la revendique au contraire, conformément à la théologie de la culture qui est la sienne. Celle-ci consiste à dire que chaque peuple se construit sa propre histoire en « inculturant » les différences au fur et à mesure de ses rencontres avec les autres peuples. 
  • Mais dans Fratelli tutti, cette dimension semble volontairement séparée de l’analyse de la parabole du bon Samaritain. Tout se passe comme si celle-ci devait d’abord être longuement méditée avant d’être intégrée dans la dialectique de l’histoire. Ce que le pape appelle de ses vœux, c’est « la rencontre comme culture » : « Ce qui est bon, c’est de créer des processus de rencontre, des processus qui bâtissent un peuple capable d’accueillir les différences. »
  • Le pape François, dont le professeur de philosophie, le père jésuite Juan Scannone, avait fréquenté Paul Ricœur lors de ses séjours en France, ne dissocie donc pas l’exercice de la charité pour tous et la conscience de la différence culturelle. À sa manière, par un chemin plus long, le pape François retrouve l’enseignement à la fois humaniste et réaliste de Paul Ricœur. 
Dans la tête du pape François
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