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Exploration

Le retour du camping-car ou le nomadisme de la monade

Hannah Attar publié le 14 novembre 2020 5 min

S’il y a une côte de popularité qui a profité de la crise sanitaire, c’est celle des camping-cars ! Le marché connaît une croissance de près de 20% depuis 2018, une tendance renforcée avec la fin du premier confinement : le mois de juin 2020 a vu un record de ventes, avec 25% de nouveaux adeptes par rapport à juin 2019. Donald Trump lui-même aurait succombé à l’esprit du temps, déclarant que s’il perdait l’élection présidentielle, il s’en irait probablement sur la route, avec Melania, à bord d’un camping-car.

On peut lire dans cet engouement quelque chose qui relève d’un attrait existentiel pour les grands espaces – tout en présentant l’avantage d’être « sanitairement correct ». On peut également y voir une réponse à un sentiment de claustrophobie croissant, dans un contexte qu’on admettrait volontiers anxiogène. Physiquement d’abord, les frontières se ferment, et le foyer apparaît comme seul espace sécurisé alors qu’un virus et des vagues d’attentats dessinent les contours d’un monde sans refuge. De manière allégorique ensuite, « on étouffe », dans des emplois parfois rébarbatifs, un quotidien répétitif, des villes polluées. Le camping-car, avec la promesse d’un monde sans limites, sonne-t-il le glas de cette impression d’« un jour sans fin » ?

De l’air !

Le camping-car mobilise avant tout un imaginaire qui sent bon la liberté. Sans autres contraintes que celles qu’ils s’imposent, adeptes de longue date comme nouveaux convertis semblent bien mettre en pratique un certain idéal d’autonomie. Cette autonomie n’est toutefois pas à entendre en tant que capacité à se fixer ses propres lois morales – qui demeure au stade de l’abstraction. Elle se déploie plutôt dans la rencontre avec le monde matériel : dans la frugalité que ce mode de vie implique, mais aussi en ce que cette expérience du camping-car donne chair à l’espace. On le parcourt, on l’habite, il contraint l’endroit où l’on va manger ou dormir.

 

Cette autonomie matérialiste répond à ce que le philosophe américain Matthew Crawford analyse comme « une forme d’insatisfaction latente par rapport à la “réalité et la solidité” du monde ». Assommé par l’« économie de la connaissance » qui fait flotter les individus dans l’abstraction des concepts, il a lui-même fait le choix de devenir réparateur de motos, et exalte le travail manuel dans son ouvrage Éloge du carburateur. Essai sur le sens et la valeur du travail le travail de l’artisan (paru en français chez La Découverte, 2012). Face au « profond sentiment d’absurdité du bureau », il encourage à « mettre les mains dans le cambouis ». Main gauche sur la fenêtre, main droite sur le volant, l’excursion en camping-car offre « un minimum d’indépendance matérielle (self-reliance) à travers la connaissance pratique des objets matériels qui nous entourent. »

Un rêve d’enfant pour les adultes

Le succès du camping-car réside-t-il simplement dans le fait qu’il soit une ligne de fuite pour adultes désoeuvrés ? S’il suscite tant d’enthousiasme, c’est aussi car il réactive tout un imaginaire qui se niche dans les rêves de l’enfant. À l’image du baluchon que l’enfant emporte sur ses épaules lors d’une fugue, il offre la possibilité d’emmener sur la route son monde à soi. Dans sa Poétique de l’espace (1947), le philosophe Gaston Bachelard considère que « Tout espace vraiment habité porte l’essence de la notion de maison ». L’essence de la maison ne s’incarne pas dans ses quatre murs, donc, mais s’exprime dans ce qu’elle représente pour son occupant, à savoir « un cosmos, dans toute l’acception du terme. » La maison est avant tout un « coin du monde » personnalisé, qui maintient à l’écart du reste du monde : elle est « le non-moi qui protège le moi ». Au coeur de la forêt, en bord d’autoroute, face à la mer, le camping-car, à l’instar du nid domestique, est à la fois le garant de « l’intimité protégée » et une « cachette de la vie ailée » – un monde des possibles à son image.

 

Le camping-car réconcilie alors deux rêves : celui de l’adulte (encore enfant) d’un monde à soi protégé, et celui de l’enfant (pas encore adulte) de l’envol vers l’ailleurs. Son succès récent peut se comprendre au regard d’un contexte qui ébranle ces deux aspects. Alors que nous sommes assignés à résidence, la maison n’est plus le lieu de l’intimité protégée, mais celui où l’on nous intime de rester protégés. Le camping-car se présente dès lors comme la promesse du refuge retrouvé – celui qui nous protège car on l’a choisi. Et Bachelard de s’étonner : « Quelle image de concentration d’être que cette maison qui se “serre” contre son habitant, qui devient la cellule d’un corps avec ses murs proches. Le refuge s’est contracté. »

Retour au nomadisme

Le camping-car, contracté sur son résident, se donne à voir comme une seconde peau. Plus qu’un refuge, il représente la possibilité d’une fuite, dans une recherche permanente de l’endroit adéquat. Cet été, il permettait de slalomer entre les confinements régionaux et foyers de contagion. Mais cette fuite est également celle d’un climat météorologique oscillatoire. Face à des catastrophes naturelles qui s’accélèrent et un climat de plus en plus hostile et irrégulier, le nomadisme pourrait redevenir la norme – d’abord par confort, à terme par nécessité.

 

Un scénario digne de Retour vers le futur ? À moins que, privés de mouvements, nous ne nous ayons pu nous découvrir ces derniers mois profondément…nomades. Dans son ouvrage Anthropologie de l’habiter. Vers le nomadisme (1967), le philosophe et anthropologue Georges-Hubert de Radkowski voyait déjà dans le phénomène d’urbanisation l’amorce d’un retour au nomadisme. Une lecture a priori contre-intuitive : l’urbanisation ne procède-t-elle pas d’une concentration extrême d’individus sur un territoire donné ? Mais l’urbanisation est riche de déambulations en tout genre, et la ville est d’ailleurs attractive en ce qu’elle permet de s’y déplacer, et même de la quitter. Pour Radkowski, « Le monde des sédentaires est concentrique » : c’est à partir de la « résidence » que se dessine le reste de l’espace. À l’inverse, le monde des nomades est un « milieu » abstrait, défini avant tout par ses possibilités. En ce sens, la ville semble relever plus du milieu que de la résidence – le lieu d’habitation est d’ailleurs bien souvent choisi en fonction de la manière dont il s’insère dans le réseau de mobilité. Radkowski nous aide alors à voir dans le phénomène du camping-car, plutôt qu’une rupture, la poursuite d’un geste moderne amorcé avec l’urbanisation : le rejet de toute centralité, et la prévalence d’un rapport subjectif à l’espace.

Pour en savoir plus sur Matthew Crawford et l’indépendance matérielle
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