Le Soudan hors la loi

Michel Eltchaninoff publié le 3 min

Un bras de fer oppose Omar al-Bachir à la Cour pénale internationale. De quoi mettre à l’épreuve les théories du penseur allemand Carl Schmitt.

Pauvre Carl Schmitt… Ce juriste et philosophe allemand (1888-1985), gravement compromis avec le nazisme mais toujours abondamment commenté, aurait volontiers vu une confirmation de sa théorie politique de la polarité ami/ennemi dans le bras de fer qui oppose le président soudanais Omar al-Bachir et la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye. Celle-ci a lancé au mois de mars un mandat d’arrêt contre celui qu’elle soupçonne de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité au Darfour. Tandis que ses alliés dénoncent une justice qui frapperait les pays les plus faibles, mais fermerait les yeux sur les agissements des États-Unis en Irak ou d’Israël dans les territoires palestiniens, al-Bachir, susceptible d’être arrêté s’il quitte son pays, multiplie en réaction les voyages à l’étranger – en Égypte, en Libye ou en Éthiopie notamment.

 

Le droit est-il une force antipolitique ?

Plus profondément, deux logiques s’affrontent. D’un côté, une justice pénale internationale encore balbutiante – des pays comme les États-Unis, Israël, la Chine, l’Inde ou la Russie n’ont pas signé ou ratifié de statut de la CPI –, mais d’autant plus déterminée à arrêter des personnalités politiques soupçonnées de crimes graves. De l’autre, des États jaloux de leur souveraineté et refusant une justice internationale contraignante. Or dans toute son œuvre, et notamment dans La Notion de politique, datant de 1932, Carl Schmitt dénonce la neutralisation et la dissolution du politique dans des domaines qui lui sont extérieurs, comme l’économie, la morale ou le droit. Toutes les tentatives pour soumettre le politique à des cadres juridiques ou moraux auraient même, d’après lui, un effet catastrophique. Les guerres menées au nom de la morale ou du droit « se distinguent fatalement par leur violence et leur inhumanité pour la raison que, transcendant le politique, il est nécessaire qu’elles discréditent aussi l’ennemi dans les catégories morales […] pour en faire un monstre inhumain, qu’il ne suffit pas de repousser mais qui doit être anéanti définitivement ».

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