L’engrenage du pire

Michel Terestchenko publié le 5 min

Lors du procès d’Eichmann, Hannah Arendt établit la « banalité du mal » : cette notion désigne une capacité à commettre des crimes qui n’est ni exceptionnelle ni pathologique, mais provient d’un effacement de la personnalité. Le héros, à l’inverse, est celui qui reste présent à lui-même et aux autres.

L’expression « banalité du mal », si célèbre et -parfois galvaudée, apparaît, la première fois, dans Eichmann à Jérusalem, l’ouvrage que Hannah Arendt consacre, en 1963, au procès d’Adolf -Eichmann. Elle ne l’emploie que dans une seule occurrence, hautement évocatrice. Ayant rapporté, de façon presque sarcastique, les paroles -creuses et toutes faites du condamné avant sa pendaison – jusqu’alors, il ne pouvait se départir des stéréotypes d’un langage qui le coupait de la réalité – elle conclut par ces mots : « Comme si, en ces dernières minutes, il résumait la leçon que nous a apprise cette longue étude sur la méchanceté humaine – la leçon de la terrible, de l’indicible, de l’impensable banalité du mal. »

On a beaucoup reproché à Hannah Arendt, son ton, son ironie à l’égard d’un homme que l’on aurait pu croire animé par les plus féroces appétits de la haine et de la cruauté, mais elle touchait juste : aux yeux de tous, il est apparu comme une personnalité ordinaire, fade et insignifiante, une espèce de marionnette tragi-comique dans son inconsistance et que rien n’aurait conduit à prendre au sérieux, s’il n’avait été l’un des principaux organisateurs de la solution finale. Cet écart effrayant entre la médiocrité de l’homme et la monstruosité de ses crimes désigne la notion de « banalité du mal ».

L’absence d’imagination ou de pensée chez Eichmann, son incapacité à mesurer les conséquences de ses actions et de ses décisions sur les êtres dont il a organisé la mort industrielle, sa soumission -aveugle à une éthique de l’obéissance, une « obéissance de cadavre », aux ordres et à la volonté du Führer, laquelle tenait lieu, pour lui, de loi morale fondamentale, étaient sans doute funestes, mais il n’y avait là rien qui procédât d’une intention de nuire, ni même d’une tentation du mal.

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