“Pas ce soir” : le grand soir de la jeunesse
« Alors là, c’est l’hallu. Quoi, les jeunes ne baisent plus ? Pour ceux qui ces dernières 24 heures seraient restés sous leur couette à dormir ou regarder une série (en tout cas pas à faire des galipettes, apparemment), résumons : selon une étude Ifop commandée par la marque de sextoys Lelo et reprise hier par plusieurs médias, l’activité sexuelle des Français est en net recul, notamment chez les 18-25 ans. Plus d’un quart d’entre eux initiés sexuellement déclare ne pas avoir eu de rapport sexuel au cours des 12 derniers mois, alors qu’ils étaient à peine 5% en 2006. Depuis hier, ça tombe donc de sa chaise et ça cherche des explications : l’exposition précoce au porno, le Covid-19, l’effet post-#MeToo et la flemme des injonctions… Et si notre étonnement était plutôt le reflet d’une représentation trompeuse et fantasmée de la jeunesse, notamment en matière de sexe ?
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“Le jeune” a longtemps été perçu comme une machine désirante, esclave de ses hormones en ébullition. Il n’y a qu’à faire un détour par les fictions télé pour s’en rendre compte. De Friends (1994-2004) en passant par Skins (2007-2013) ou les plus récentes Euphoria (depuis 2019) et Sex Education (2019-2023), la plupart des séries qui ont pris un groupe d’adolescents ou de jeunes adultes comme personnages principaux en font globalement des lapins Duracell insatiables. Le duo Chandler et Joey dans l’iconique Friends fonctionne sur cette dynamique : le premier se conduit désespérément comme un manche avec la plupart de ses conquêtes féminines, quand le second les emballe en un tournemain de son célèbre et simplissime “How you doin’ ?” On n’a pas eu le temps de faire des stats’, mais la plupart de leurs conversations tournent autour de qui couche avec qui et comment. Les autres personnages ne sont pas en reste, même si la série ne montre jamais quoi que ce soit d’explicite, diffusion à des horaires encore familiaux oblige.
La série britannique Skins, qui prend le relais dans les années 2000 dans une veine plus trash, ne dresse pas un portrait différent de la jeunesse. Tony, Michelle, Sid, Jal, Anwar et Cassie sont encore au lycée, mais les cours sont bien le cadet de leurs soucis. Même les adultes, complètement à l’ouest pour la plupart, ne pensent qu’à ça. Perdre sa virginité est l’urgence absolue, entre deux soirées black-out. Une frénésie qui raconte aussi le mal-être et l’ennui d’adolescents qui n’ont littéralement que ça à faire – sûr que le décor de Bristol en arrière-plan ne fait pas particulièrement rêver. Il faut attendre Euphoria et Sex Education, deux séries de la même génération de part et d’autre de l’Atlantique, pour que l’association sexe/jeunesse ne soit plus tout à fait une évidence. Un épisode d’Euphoria consacré à Maddy la montre s’entraîner à reproduire postures et gémissements devant du porno, histoire de faire ensuite plaisir à son petit copain Nate. La voix off précise bien que ça ne l’excite pas particulièrement. C’est juste plus simple de faire comme si. Sex Education, avec son angle moins sombre et pédagogique, ne dit pas autre chose : le sexe, surtout à l’adolescence, c’est avant tout une galère et un vaste bazar, avant de définir ce que l’on veut et ce que l’on est vraiment.
Cette vision plus ou moins fantasmée de la jeunesse, qui ne serait qu’envies difficilement réprimées, ne date pas d’aujourd’hui. Dans La République, Platon dresse déjà le portrait du “jeune” en objet de son désir pas toujours bien défini, qui “confie toujours le commandement de son âme au plaisir qui surgit soudainement, comme s’il était soumis au destin, jusqu’à ce qu’il en soit rassasié. […] Il passe ses journées à satisfaire sur cette lancée le désir qui fait irruption : aujourd’hui il s’enivre au son des flûtes, demain il se contente de boire de l’eau et se laisse maigrir ; un jour il s’entraîne au gymnase, le lendemain il est lascif et indifférent à tout.” Dans ses Lettres à Lucilius (l’épître 68), Sénèque évoque les “vices que la première ardeur de la jeunesse rendait indomptables et qui sous peu s’éteindront”. La jeunesse, souvent oisive dans l’œil de celui qui la commente, est un “coursier écumant” sans direction ni bride. C’est oublier, en particulier aujourd’hui, qu’elle est avant tout fauchée, surmenée, logée dans de toutes petites surfaces, angoissée quant à son propre avenir et celui de la planète – la série Girls, envisagée par Lena Dunham comme une réponse réaliste à Sex and the City, était à cet égard assez clairvoyante. Rien d’étonnant donc, à ce que la jeunesse n’ait plus envie. »
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