Pascal Quignard: “La philosophie, c’est du happy end assuré ”
Pascal Quignard erre en solitaire entre roman et essai. À la gloire sociale, il préfère « le vide sidéral autour de chaque heure ». Il revient sur son parcours d’écrivain rythmé par un dialogue complexe et original avec la philosophie.
De Pascal Quignard, le poète-philosophe Michel Deguy dit qu’il est « identiquement philologue et misologue »… Philologie, d’un côté, soit un amour des lettres, de l’érudition, un goût pour l’étymologie et la rhétorique. Misologie, de l’autre, soit une haine de la raison, une méfiance vis-à-vis de la pensée raisonnante, de la discursivité, du logos. Cheminant entre romans et essais, l’œuvre, immense, baroque, de Quignard est traversée par la naissance et la mort, la musique et le silence, l’ascèse et l’érotisme, la Grèce et Rome. Cet écrivain paradoxal est né en 1948 à Verneuil-sur-Avre en Normandie, de parents professeurs de lettres classiques – son père appartenait à une grande famille d’organistes du Wurtemberg et sa mère, à une lignée de professeurs de la Sorbonne. Son éducation, Quignard la définit comme « grammaticale, sévère, classique et catholique ». Après des études de philosophie, il choisit de se consacrer à la musique et de devenir écrivain. Il a le projet de reprendre l’orgue familial d’Ancenis. Orgue, le matin, écriture, l’après-midi. L’écriture, durant l’été 1968, de La Parole de la Délie, essai sur Maurice Scève, poète du XVIe siècle, remarqué par Louis-René des Forêts, marque une rupture symbolique : « Ce livre constituait à mes yeux un acte de sécession dans la mesure où je renonçais par lui à la philosophie. Je me lançais dans cette entreprise préphilosophique ou démythographique que je n’ai pas cessé de poursuivre. Recherche embarrassante ou dissidente en ce qu’elle était déjà mal délimitée dans son genre. Ni philosophie, ni essai littéraire, ni poésie. »
C’est bien le brouillage des frontières entre les genres qui caractérise le style de Pascal Quignard, qui a inventé une forme d’écriture totalement libre, à la fulgurante musicalité. Située entre le fragment, la poésie, le conte et l’aphorisme, cette forme culmine dans ces deux séries que sont les Petits Traités (huit tomes) puis Dernier Royaume, dont La Barque silencieuse constitue le sixième volume. Cette hétérogénéité, volonté de « déprogrammer » la littérature en mêlant fiction et réflexion, érudition et traduction, s’enracine pourtant dans un même acte : l’acte de lecture, revers de l’écriture, unis comme le gant et la main – Le Lecteur est le titre de l’un de ses premiers livres et Quignard a longtemps été membre du Comité de lecture des éditions Gallimard. Lire, c’est opérer un écart avec le monde, « lire espace la pensée ». De même, l’écriture est une mise à l’écart, et l’écrivain, un anachorète qui, à mille lieues de tout enrôlement social, n’a qu’un credo : « Vivre dans l’angle mort du social et du temps. Dans l’angle du monde », comme on peut le lire dans le magnifique Vie secrète, au titre révélateur.
Philosophie magazine : Vous avez fait des études de philosophie et commencé une thèse avec Emmanuel Levinas. Sur quel sujet portait-elle ? Pourquoi l’avoir interrompue ?
Pascal Quignard : Le libellé de la thèse, Emmanuel Levinas avait tenu à le rédiger lui-même. Il était très simple : « Le langage chez Bergson ». Avec Bergson, la langue naturelle cesse d’être un medium neutre. Quelque chose vient s’interposer dans la relation entre l’intelligence et l’intelligible. Mais la vraie raison de mon abandon de la philosophie n’est pas là. Tout cela se passait en 1968. Nous étions à Nanterre. L’enseignement me posait un problème. Levinas me reprocha avec vivacité cette répulsion que j’éprouvais à l’idée d’enseigner quand je lui en fis part. Cela dit, aujourd’hui, je pense que Levinas ne m’en voudrait pas trop. Depuis quinze ans, j’ai tout arrêté et j’ai consacré mes jours uniquement à l’étude. Je crois que la transmission est une valeur très inférieure à l’étude. Aujourd’hui, je ne suis plus qu’étude.
Il y a quinze ans, en 1994, vous avez démissionné de toutes vos fonctions sociales, notamment au sein des éditions Gallimard. Qu’est-ce qui a présidé à ce choix ? Était-ce un renoncement ? Une fuite ? Dans votre roman Villa Amalia, le personnage d’Ann Hidden se désatellise, rompt avec ses différentes attaches et fugue dans la baie de Naples. Hidden signifie « caché » en anglais…
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